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     Les enfants perdus © 2009 Prod du Lagon

     

    Les souvenirs les plus lointains de Bernard Storch sont flous :

      

    il voit une femme en larmes sur un quai de gare, un mouchoir blanc agité dans le vacarme. Il avait juste 3 ans et le train quittait Berlin pour l'emmener en France. Là, à peine débarqué de son wagon-pouponnière, il avait été placé dans une famille nourricière, où il fut longtemps roué de coups et traité comme un chien. Il apprendra plus tard que cette marâtre enragée qui semblait le haïr avait perdu son mari à la guerre.

      

    Lui était né, en Allemagne, de la rencontre de sa mère biologique avec un prisonnier français - tout comme naîtront, en France, bien des bébés de père allemand ! Combien sont-ils, ceux qu'on a appelés les « enfants de la honte », fruits de ces liaisons coupables - et sévèrement réprimées ?

      

    Arrachés à leur foyer par les batailles et les aléas de la guerre, ils sont des enfants de l'amour conçus dans le chaos. Tant d'années après, les blessures restent parfois béantes et certains recherchent désespérément, aujourd'hui encore, un père, un frère ou une soeur.

    Vidée de ses 20 millions d'hommes mobilisés dans la Wehrmacht et envoyés sur tous les fronts, l'Allemagne, exsangue, va faire appel à la main-d'oeuvre étrangère pour soutenir son effort de guerre.

      

    Toujours prompt à collaborer, Pétain crée, en septembre 1942, le Service du Travail obligatoire : 650 000 jeunes Français seront ainsi réquisitionnés outre-Rhin,

    et 250 000 prisonniers transformés en travailleurs civils. «

      

    C'est la première fois qu'une nation livrait ses populations à l'ennemi », note un de ces exilés forcés. « On sentait que l'Histoire ne comprendrait pas comment des anciens combattants de 14/18, couverts de gloire, avaient pu vendre ainsi leurs enfants. »

     

    Avec pudeur et justesse, le film de Jean-Pierre Carlon montre comment, dans un pays qui n'est plus peuplé que d'enfants et de vieillards, au coeur de ce conflit meurtrier, des jeunes gens officiellement « ennemis » ont pu s'aimer, défiant les interdits et bravant les périls.

      

    « Il avait toutes les qualités et elle l'a aimé toute sa vie », dit cette Berlinoise née d'un père français qui, rapatrié trois mois avant sa naissance, n'est jamais revenu. Une autre :

      

    « Aussi loin que je me souvienne, ma mère m'a toujours parlé de cet homme qu'elle aimait, et qui était mon père. Et jusqu'à sa mort, elle n'a pas cessé d'en parler. » Sur une photo de ces temps incertains, un jeune couple, assis dans l'herbe, se tient par la main en fixant l'horizon, là où leur aventure, fatalement, se perdra un jour...

    Ces femmes ont vécu des liaisons cachées, douloureuses, elles ont aimé et il n'en reste que des traces, quelques images jaunies, des mots à l'encre passée, et la morsure des souvenirs.

      

    Quant à leurs enfants, ils auront traversé la vie en compagnie des fantômes de ces histoires cent fois racontées. « Il devait retourner en France provisoirement.

    C'est ce qu'il a dit. Et ça a été pour toujours... »

    Pour ces enfants perdus, il existe quelque part, loin dans le temps et dans l'espace, une sorte d'éternel prince charmant, sublimé, inaccessible. « Je suis née en décembre 1945. La guerre était fi nie. Les Français sont rentrés chez eux. » Sur les films de l'époque, des trains s'ébranlent en grinçant, aux fenêtres des hommes envoient des baisers.

      

    Ils laissent derrière eux le souvenir d'étreintes furtives, des serments murmurés, et des torrents de larmes. Et, bien souvent, des enfants qui ne comprennent pas, qui ne comprendront jamais, comme le montre ce beau film baigné d'une sorte de mélancolie douce portée par quelques notes de piano.

     La plupart des enfants nés de ces relations clandestines ont connu la honte

    d'avoir un père appartenant au camp ennemi, ils ont subi les moqueries ou les insultes : l'innocence balayée dans une cour de récréation...

      

    Ils ont surtout souffert d'avoir longtemps ignoré l'existence de cet homme, et de ne l'avoir jamais connu. Persuadés d'être le fruit d'un grand amour, des années après ils se lancent sur les pas de ces inconnus souvent morts depuis longtemps, ils refont le chemin à l'envers pour retrouver la trace de ce père fantasmé sans lequel ils n'imaginent pas pouvoir se construire, et dont il ne reste que quelques lettres froissées, quelques mauvais clichés, ou les registres poussiéreux de la Wehrmacht.

      

    Allemand, cet homme a découvert qu'il avait un père français lorsque, à la mort de sa mère, il a vendu un secrétaire où se trouvait un tiroir secret renfermant des lettres et des photos.

      

    « Ma mère ne m'en avait jamais parlé. Sans ce secrétaire, je n'aurais rien su de mon histoire. »

      

    S'ils se lancent dans de longues et difficiles recherches, c'est juste pour obtenir des informations sur ce père inconnu, découvrir son visage, savoir où se trouve sa sépulture afin d'y déposer une gerbe, se recueillir quelques instants, et clore cette histoire dans le silence des tombeaux.

    Rien d'autre.

    Aucune arrière-pensée, pas de quête de reconnaissance ou d'un quelconque héritage.

    Ils ont fait leur vie, même amputés d'une part de leur identité, et ont appris à apprivoiser ces manques qui, simplement, les submergent encore par instants.

     

     

     

    http://teleobs.nouvelobs.com/la-selection-teleobs/20130418.OBS6290/les

    -enfants-de-la-honte-nes-en-allemagne-de-pere-francais.html 

     

     

     

     

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