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Par Dona Rodrigue le 14 Septembre 2014 à 10:09
Images d'archives et témoignages des enfants de l'époque relatent la fuite de la population civile après l'offensive allemande au cours du printemps 1940.
Au printemps 1940, Adolf Hitler passe à l'offensive, ordonnant à ses troupes, placées aux abords de la frontière entre la Belgique et la Hollande, d'attaquer. Pour la population locale, qui s'était habituée à la «drôle de guerre», la surprise est totale. Alors que leurs soldats partent au front, les civils belges et français prennent la fuite. Réunissant leurs biens les plus précieux, des vêtements et de quoi se nourrir, des millions de personnes se retrouvent sur les routes. Des images d'archives et les témoignages de ceux qui n'étaient alors que des enfants font revivre cet exode. Les parents d'Olivier souhaitaient rallier le Sud de la France, tandis que la famille d'André prenait la direction du Havre et que Willy allait à Paris.
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Par Dona Rodrigue le 19 Janvier 2013 à 21:14
Ils ont survécu à l’abandon total d’un des Etats les plus policés du monde devenu en quinze jours un territoire de grand banditisme, où l’on tue à loisir, où voler est une pratique généralisée, ou viols et violences sont irrépressibles, où l’on abandonne sans soins les fous et les malades.
Où médecins, policiers, pompiers, gendarmes, agents de l’Etat, maires, députés, se sont évanouis dans la naturel retournant par centaines de milliers à l’état sauvage.La peur fait courir les gens vers les bois. Ils se réfugient dans les fermes des campagnes, elles aussi attaquées systématiquement.
Des grappes de civils aux visages épuisés quittent les carrefours, abandonnant leurs brouettes et leurs chars à bancs, ils se cachent derrière les moindres taillis, se jettent dans les fossés dès qu’ils entendent le bruit de sirène des avions en piqué.
Les militaires se rendent aux premiers véhicules allemands qui surgissent, noirs de poussière. Regroupés hâtivement, ils partent à pied, sans gardiens, en troupeau, sans savoir où ils vont, prenant à rebours la route des chars, aidant quelquefois les Allemands à dégager la route, en poussant les véhicules français dans les fossés.
Paul Thibaut, dont le père est cantonnier à Montmirail a quatorze ans lorsqu’il quitte avec sa famille sa maison bombardée de nuit par le canon. Des bruits ont couru au village ; les chars approchent ! Pas d’ordre du maire ou de l’armée. Les gens partent d’eux-mêmes, pour se mettre à l’abri. Tous ceux du pays ont attelé les chevaux aux charrettes et pris la route.
Les Thibaut ont emmené dans un landau leur bébé né le 21 mai. La peur est telle qu’ils prennent le risque de partir avec un nouveau-né. Qu’on ne leur reproche pas leur pusillanimité. On éprouve quelque lassitude à vivre dans une maison dont les murs sont ébranlés par le canon.Quand le voisin part, en déclarant que le pire est à venir, on part aussi, dans la hâte.
Les habitants de Champaubert, parmi les réfugiés qui défilent devant leurs maisons chaque jour, croient reconnaître des espions Italiens, puis des bonnes sœurs de la cinquième colonne aux chaussures trop longues pour être honnêtes.Les paysans ne veulent pas faire grimper sur leurs charrettes les curés affirmant que l’exode et la débâcle sont un châtiment du Ciel. En plus de leurs souffrances, ils n’ont que faire des discours moralisateurs. Ils cherchent à franchir l’Aube à Arcis, la Seine à Troyes, pour gagner le sud et bifurquer ensuite vers l‘ouest, vers la Mayenne riche en troupeaux, leur département d’accueil.
Bombardés et mitraillés sur la route, ils perçoivent dans les fossés les corps des soldats morts, les porcs en liberté dans les rues des villages qui fouillent les restes humains. Impossible de franchir la Seine, les ponts sont coupés. Il faut descendre le fleuve vers Troyes. A Pont-Sainte-Marie, le convoi s’arrête et rebrousse chemin. Les Allemands sont arrivés plus tôt que prévu. Ils font signe aux chariots de repartir, après une pause de ravitaillement en luzerne, en lait de vaches traites au bord des routes après avoir chargé le produit des rapines faites dans les fermes abandonnées.
Dans la traversée d’un village, entre Anglure et Champaubert, sur la route du retour, Paul Thibaut se souvient d’avoir vu, sur le bord de la chaussée, devant la porte ouverte d’une maison, une vieille femme attachée à une chaise mains derrière le dos et fusillée. Espionnage, cinquième colonne, représailles des Allemands contre les tirs venus des greniers et des toits sur les side-cars de reconnaissance ?Quand ils marchent au pas des chevaux, leurs familles entassées dans les charrettes, ces ruraux groupés par villages évoquent en effet les grandes migrations.
Les chefs d’exploitation sont en tête, parfois les curés, préoccupés de rechercher des vivres et un gîte. La solidarité de groupe s’affirme dans les attaques aériennes. Ces ruraux ont le souci d’éviter la dispersion.Ils préfèrent avancer plus lentement, mais ensemble. Tous ceux qui peuvent marcher entourent les chariots où sont installés, dans un capharnaüm de vivres et d’objets hétéroclites, les femmes, les enfants, les vieillards, les blessés, les malades.
Mais les attaques aériennes tuent les chevaux.
Les survivants du grand départ sont accablés de fatigue. Quand les attelages sont défaillants, les familles doivent abandonner les charrettes, se suivre en longues files où les plus valides charrient les enfants, mais aussi les vieillards et les blessés dans des remorques, des voiturettes tirées à bras.
Il n’est pas rare que des curés portent leurs ouailles épuisées dans des brouettes. On entend geindre des vieillards malades, abandonnés, oubliés sur le bord de la route.
Sur la route, des fous se mêlent à la foule sans qu’il soit possible de les distinguer de la foule apeurée.La ville de Troyes est abandonnée par les hommes valides aux malades, aux infirmes, aux vieillards rassemblés à l’Hôtel-Dieu.
Après l’évacuation des débiles mentales de Dorten, il devient clair que les asiles eux-mêmes ne sont plus gardés, que les autorités en ouvrent quelquefois les portes avant de prendre la fuite, sans toujours se préoccuper du sort des malades.
Roger Ikor se fait l’écho de ces rencontres de fous sur les routes qui sèment le doute dans l’esprit des soldats marqués par l’espionnite.
Ils soupçonnent les faux déments, agents de la « cinquième colonne ». Ikor a du mal à arracher au lynchage de la troupe une vieille femme égarée, sans doute échappée d’un asile, surprise à faire des signes des bras aux avions allemands.
Il arrête aussi, le même jour, un soi-disant représentant en vins de nationalité allemande resté en territoire belge en raison de la rapidité de l’avance allemande. Namur est évacué en catastrophe, ses archives brûlées, les pensionnaires des asiles psychiatriques jetés à la rue et abandonnés par des administrateurs sans conscience.
Poussée par la peur, par l’incendie qui commence à dévorer les premiers morceaux d’Orléans, par le bruit des avions, la foule se rue en direction du pont George-V. A l'entrée nord d’Orléans apparaissent les dernières arrière-gardes françaises.
Eléments disparates qui n’en peuvent plus de fatigue, qui « décrochent » depuis des jours et des jours et qu’épuisent la tension nerveuse et les mitraillages quotidiens.Peu de troupes homogènes, beaucoup d’isolés que plus rien ne lie à cette armée en décomposition.
Sur les ponts d’Orléans passent les Parisiens qui ont pu encore acheter quelques litres d’essence dans une épicerie de campagne.Lorsque le maire d’Auvilliers (Loiret), qui a entassé dans son auto ses quatre enfants, sa femme, sa belle-mère paralysée, tous les registres d’état civil de 1838 à 1940, les matrices cadastrales, le registre des délibérations et deux cachets de la mairie, tombe en panne d’essence quelques kiIomètres avant Gien, c’est avec une brouette qu’il poursuit sa route !
Une route faite de plus de piétinements que de pas. Ailleurs, mais toujours face à la Loire, un convoi militaire met vingt-cinq heures pour aller de Sully à Gien : 25 kilomètres !Sur les ponts d’Orléans passent des cars chargés d’enfants joyeux ou de malades.
Passent des bonnes sœurs pour la première fois sorties de leur couvent.
Des ouvriers de la banlieue parisienne qui poussent des voitures à bras recouvertes de rideaux et de sacs, des ouvriers qui sont partis avec un litre de coco, un broc, une gamelle. Les infirmes, les vieillards, les éclopés sont transportés dans des charrettes, des voitures d’enfants, parfois des brouettes.
Lorsque le maire d’Auvilliers (Loiret), qui a entassé dans son auto ses quatre enfants, sa femme, sa belle-mère paralysée, tous les registres d’état civil de 1838 à 1940, les matrices cadastrales, le registre des délibérations et deux cachets de la mairie, tombe en panne d’essence quelques kiIomètres avant Gien, c’est avec une brouette qu’il poursuit sa route !
Une route faite de plus de piétinements que de pas. Ailleurs, mais toujours face à la Loire, un convoi militaire met vingt-cinq heures pour aller de Sully à Gien :
25 kilomètres !
LES ENFANTS PERDUS
Les journaux de province regorgent d’avis de recherche, de parents éplorés ayant perdu leurs enfants, de couples désunis, de vieillards perdus, comme ce maire de Crève-cœur, en Seine-et-Marne, dont l’épouse a disparu près d’un des ponts de la Loire, ou telle famille du Mans ayant confié, dans son désarroi, une enfant de dix ans à la sauvegarde de l’équipage d’un camion-citerne de l’armée.
Un ingénieur de la SNCF parcourt les quais de Matabiau à Toulouse à la recherche de son épouse perdue en gare de Troyes le 13 juin.
Un percepteur de la Loire a vu disparaître toute sa famille, le 8 juin, du côté de pont-Sainte-Maxence.
Il en est sans nouvelles depuis. Un émigré italien a perdu sa mère Philomène, soixante-deux ans, à Orly sur la route de Paris
Les enfants pris en voiture par les convois militaires ne sont pas toujours signalés. Les réfugiés pouvaient-ils demander à rentrer sans avoir obtenu des nouvelles des membres de leur famille disparu ?
Longtemps les journaux français seraient à la recherche, sous forme de petites annonces, des enfants perdus de l’été 1940.
SUR LES ROUTES
Les camions militaires transportent des vieilles dames fatiguées et des enfants malades.Les chars d’assaut et les corbillards pleins de gosses roulent côte à côte. Les bennes à ordures véhiculent des tonnes d’archives inutiles.Les autocars de Paris la nuit transportent des petites vieilles et des bonnes sœurs.
Des chiens sont attelés à des charrettes chargées de toutes les richesses du foyer ; édredons postes de T.S.F., poupées, habits du dimanche.
Le curé qui pousse sa servante sous un soleil de plomb dans la plaine nue.Ce n’est pas du cinéma.Des automobiles se traînent, des couvertures sur le toit prétendument pour amortir l’impact des balles.Ces réfugiés ont chargé toute leur famille dans des limousines d’un autre âge. Ils affirment que des chars allemands les suivent. Toujours la panique des chars. Des habitants d’Hirson montrent sur leurs carrosseries les trous d’éclats de bombes. Ils ont été attaqués Sur la route par des avions. Dans beaucoup d’autos, des blessés allongés sur les banquettes.
Personne pour les secourir. Pas un médecin, ni une infirmière au village.Une femme à genoux pleure dans un fossé devant son enfant blessé.
Passent des camions de déménagement, des voitures laitières, tous pleins de réfugiés. Personne ne soigne les blessés graves.Les cavaliers français sont les premières victimes de l’intoxication collective qui voit des chars partout. On leur parle d’une demi-division chargée de répandre le désordre à l’arrière des lignes.Le pays de Laon est terrorisé par ces arrivées impromptues des engins ennemis, que les réfugiés signalent dans de nombreux villages.Les piétons équipés pour la marche sont rares...
La plupart ont revêtu plusieurs habits les uns sur les autres, toute une garde-robe.
Ils portent une valise dans chaque main, un paquet ou un sac sur le dos.Quand ils sont fatigués, ils jettent leurs bagages dans les fossés où ils sont pillés par ceux suivent.On a pu décorer les soldats héroïques, enterrer avec honneur les marins, les aviateurs, les cavaliers et tankistes, les fantassins de Rethel ou de Dunkerque, les combattants des Alpes.
Les victimes des routes attaquées à la mitrailleuse et à la bombe n’auront jamais leur nom sur les monuments aux morts. Ils sont souvent enterrés à la diable, dans des fosses communes, sans identification. On ne peut même pas les compter avec exactitude.les charognards
Il faut comprendre ce que représentaient la solitude et l’abandon de ceux qui étaient restés sur place, sans aucun recours ni secours, devant une armée étrangère qui s’annonçait, dans la débandade des dernières unités de l’armée française.
Les pillards rôdaient dans les villes abandonnées, prêts à faire un mauvais sort aux survivants qui les dérangeaient dans leur besogne de chacals. Aucune assistance médicale prévue en cas d’attaque aérienne.
De singulières rencontres au hasard des routes : les fous, les détenus ont quitté prisons et asiles, évacués ou évadés, ils se nourrissent en volant.
Pas de lieux de refuge pour les enfants égarés, les écoles sont vides et les églises elles-mêmes ont perdu leurs prêtres.
Les morts pourrissent sur les bords de la route, faute de fossoyeurs. Les corbillards en goguette ont chargé des familles entières sur la route de Gien.
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