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    JEANNE FERRES 1924-2005

     

     

    Madame Ferres explique aux élèves qu’elle avait leur âge , 15 ans, juste avant la guerre. Elle garde un souvenir très heureux de cette époque-là : une société normale, peu informée de tout ce qui se tramait en Allemagne ( les camps de concentration, les mesures contre les opposants au nazisme, les Instituts d’Euthanasie,…) ;

    on croyait aux slogans patriotiques : « nous vaincrons parce que nous sommes les meilleurs » ; on avait confiance dans la Ligne Maginot

     

    Elle habitait Cherbourg. La défaite soudaine fut pour elle, comme pour tous les Français, un coup sur la tête . Et l’arrivée des blindés allemands un spectacle épouvantable, une apocalypse. Honte et tristesse… Son père embarque et gagne l’Angleterre avec la flotte dans l’intention d’y poursuivre le combat.

    Il fallut participer à l’exode, d’autant que la maison familiale avait été bombardée.Jeanne se rend chez ses grands-parents à la campagne, avec sa mère et les deux autres enfants. On camoufle la maison dans l’espoir d’éviter les bombes.

    Les Français de la zone occupée se sentent prisonniers. Ils ont un très fort ressentiment envers les Allemands, des intrus, , qui accaparent la nourrriture, instaurent des cartes de rationnement ( nourriture, textiles ), privent les Français de leurs libertés en muselant la presse, en interdisant les rassemblements, en imposant le couvre-feu à 20 h..

     

    Pour certains Français, l’humiliation et le déshonneur ressentis sont insupportables.

     

    S’engager est alors un devoir pour certains français au patriotisme développé. L ’Appel du Général De Gaulle leur sert de déclencheur.

     

    La culture familiale des Ferrès portait à la résistance.

    D’assez nombreuses personnes avaient, comme mon père, décidé de poursuivre le combat en choisissant de passer en Espagne ou en Algérie. Ceux-là ne supportaient pas la défaite ni le discours pétainiste.

    Jeanne revient donc à Cherbourg pour y loger chez un oncle.

    Ce dernier cachait alors deux employés d’une compagnie d’assurance anglaise, en réalité des agents des services secrets britanniques résidant à Cherbourg avant l’arrivée des troupes allemandes, et qui n’avaient pas voulu regagner leur pays afin de continuer à le servir en territoire occupé.

     

    Ce fut le premier contact de Jeanne avec la Résistance.

    Après une rapide formation, elle dut accomplir un travail de renseignement pour le compte direct des services spéciaux anglais. Cette phase dura quelques mois.

     

    Puis, elle fut recrutée en fin 1940 par le Service inter-allié , section des services secrets polonais.

     

    Jeanne nous indique qu’il y eut pendant la guerre 228 réseaux homologués, dont 8230 membres sont morts, 2318 internés et 7381 déportés.

     

    La mère de Jeanne Ferrès ignorait tout des activités de sa fille, qui savait que le meilleur moyen de se préserver était de ne parler à personne. Sa mère finit cependant par se douter de ses agissements.

     

    Jeanne ignorait elle-même jusqu’où la mènerait son action…

     

    Elle travaillait avec son oncle, elle devait colporter tous les renseignements susceptibles d’intéresser les Alliés : dépôts de munitions, ouvrages militaires, concentrations de troupes, nature des divisions, aérodromes, dépôts d’essence ou avancement du Mur de l’Atlantique. Ces renseignements étaient collectés par des agents de liaison qui se chargeaient de les communiquer à un intermédiaire, lui-même en contact avec le chef du réseau.

     

    Son arrestation se produisit le 6 Novembre 1941 à Saint-Lô (Manche), par le service de contre espionnage allemand , l’Abwehr, opérant en France sous les ordres de l’Amiral Wilhelm Canaris (1). Elle avait été trahie par un agent corrompu du réseau. Jeanne Ferrès revient à plusieurs reprises sur l’abomination que furent les dénonciations entre français.

     

    Elle passa deux jours dans la prison de Saint-Lô, puis fut transférée à la prison de la Santé à Paris et mise au secret pendant vingt deux mois . Elle ne reçut ni visites, ni paquets, ni lectures. Dans sa cellule , pas de fenêtre, et juste une cruche d’eau pour toute une journée sans promenade.

    Les cellules n’étaient pas chauffées, et l’hiver 1941-42 fut très froid :

    les engelures et autres maux accompagnaient la douleur morale d’être totalement coupée du monde.

     

    La seule façon de combattre était le rêve, moyen d’auto-défense, la croyance en la victoire des Alliés. 17 ans, c’est l’âge de l’espoir et des rêves… La demi-douzaine d’interrogatoires qu’elle dut subir se déroulèrent à l’Hôtel Georges V à Paris. Les Allemands restaient courtois, mais ils exerçaient une pression morale, « un chantage affectif » en évoquant le sort qui serait réservé à sa famille si elle ne disait rien. Mais cela ne la troublait pas trop dans la mesure où elle savait son père hors de France et donc hors de danger.

    Si Jeanne confrontée à l’Abwehr n’a subi aucune torture, il n’en a pas été de même pour ceux qui eurent affaire à la Gestapo, laquelle infligeait sévices et tortures morales à ses prisonniers. On peut citer ici une anecdote : Jeanne Ferrès avait une voisine de cellule, Renée Lévy, professeur de lettres, qu’elle ne connaissait que par les « dialogues » sommaires établis en tapant aux cloisons. Un soir, celle-ci, se sachant condamnée à mort, lui fit parvenir ses dernières affaires par un gardien complice.

     

    Elle fut exécutée à la hache en Allemagne, et ses cendres reposent aujourd’hui au Mont-Valérien près de Paris. Jeanne Ferres découvrit, longtemps après, les traits du visage de son amie d’infortune sur un timbre-poste faisant partie d’une série consacrée aux personnalités de la Résistance.

    Jeanne Ferrès fut ensuite transférée à la prison de Fresnes, en Octobre 1942, et elle y resta jusqu’au printemps 1943. Les conditions étaient meilleures : eau courante et de grandes fenêtres au quatrième étage de la prison, qui lui permettaient de redécouvir les plus simples gestes de la vie : voir enfin le ciel et pouvoir respirer !

     

    Là, elle connut un prêtre allemand francophile qui lui prêtait des livres en cachette ; il était charitable, profondément bon et très apprécié de tous (2).

     

    Cet Abbé Stock, était un admirateur de Pierre Brossolette qu’il visitait dans sa cellule. Pierre Brossolette, grand résistant devait se suicider en mars 1944 pour ne pas parler sous les tortures qui lui furent infligées par ses bourreaux. Il se jeta par sa fenêtre du cinquième étage de l’immeuble où la Gestapo l’avait interrogé. Lorsque la mère de notre témoin voulut rendre visite à sa fille à la prison, on le lui refusa.

     

    L’abbé Stock s’intéressa alors à cette dame accompagnée de son tout jeune fils. Le prêtre l’écouta, et contre toutes les règles en vigueur, procura à Jeanne l’une de ses plus grandes joies dans ces tristes moments en lui faisant passer un mot de sa mère.( note et photo)

     

    Jeanne Ferrès fut ensuite transférée au camp de Romainville pendant trois mois avant d’être déportée dans celui de Ravensbrück ( note ) , réservé aux femmes, où il y eut 90.000 mortes sur les 130.000 personnes internées. Ce camp était situé au nord-est de Berlin dans une région assez touristique dotée d’un magnifique et grand lac, appelée cependant Petite Sibérie à cause de l’influence des courants climatiques venus de la Baltique.

    Lors du premier mois passé dans ce camp, les détenues étaient mises à l’épreuve avec des travaux les plus pénibles : décharger des péniches, pousser des wagonnets ou répandre les cendres des déportées incinérées dans les petits jardins SS qui surplombaient le lac proche de Ravensbrück. Les femmes étaient rassemblées dans plusieurs blocks contenant chacun huit-cents personnes, pour lesquelles il n’y avait que seize points d’eau et cinq toilettes.

     

    La journée commençait tôt (à 3 heures 30 en été et à 4 heures en hiver). Après avoir bu un breuvage chaud, c’était pour toutes l’appel qui durait souvent plus d’une heure, quel que soit le temps. Elle a connu des appels dans un froid de -32°, juste vêtue d’une robe. Les femmes étaient rangées par ordre numérique car nous n’avions plus d’identité, souligne-t-elle, nous n’étions plus qu’un numéro, toutes au garde à vous, quels que soient l’état et l’âge

     

    Les journées de travail étaient de douze heures, coupées par une demi-heure pour prendre une pause déjeuner. Les déportées étaient louées à des groupes industriels : pour Jeanne Ferrès, ce fut à l’usine Siemens. Cela rapportait de l’argent aux nazis qui tiraient vraiment partie de tout ! La journée s’achevait comme elle avait débuté, par un appel interminable, avant que les détenues ne puissent enfin prendre une soupe accompagnée d’un peu de pain.

    Le samedi après-midi et le dimanche, les détenues se retrouvaient entre elles un peu plus librement. L’été 1943 amena une chaleur torride, aggravant encore la situation. Ces conditions entraînaient une grande mortalité. Tous les matins, les cadavres étaient déposés à l’entrée du bloc et ramassés par une brigade spécialisée. Aucune disposition n’était prise pour les femmes enceintes. Ainsi les médecins du camp noyaient, étranglaient ou tuaient d’une balle dans la nuque les nouveaux-nés.

    A partir de 1944, les bébés furent laissés vivants, mais ils mouraient de faim : sur huit cents bébés , une douzaine seulement sont sortis du camp, dont trois petits français.

    Les détenues trop faibles ou malades étaient emmenées dans des camions, et leurs vêtements revenaient au camp : on savait bien qu’on les avait supprimées, mais on ne savait pas alors comment. C’est après la guerre, seulement, qu’on a appris qu’on les avait conduites dans des camps équipés où elles furent exterminées soit dans des chambres à gaz, soit dans des cliniques où l’on pratiquait l’euthanasie…

    En fait, on utilisait à Ravensbriick les femmes aussi longtemps qu’elles pouvaient avoir un certain rendement et travailler. Le travail était si rude que certaines femmes, surtout les plus âgées, mouraient sur place sur le chantier.

    Chaque matin, aux abords de chaque block, des monceaux de cadavres étaient formés, un commando de déportées se chargeait de ramasser les morts de la nuit.

     

    Certaines avaient aussi subi des expériences chirurgicales atroces.

     

    Pour Jeanne Ferrés, la situation était moins dure que pour certaines femmes. En effet, quelques-unes avaient laissé de jeunes enfants derrière elles, et l’inquiétude les conduisait parfois jusqu’à la folie. Mais Jeanne savait très bien qu’étant classée Nacht und Nebel , Nuit et Brouillard (3) elle pourrait disparaître à tout moment. Elle a confié avec une émotion difficilement contenue sa fierté d’avoir côtoyé des femmes admirables, courageuses, ayant de de l’humour et de la dignité. Très jeune encore, elle ressentait pleinement l’affection de toutes ces femmes et elle avoue ne pas avoir souffert de la promiscuité : car ces femmes étaient formidables, affirme-t-elle, la plupart savaient pourquoi elles étaient là.

     

    En effet, elle avaient été arrêtées pour acte de résistance. La vie au camp était beaucoup plus mal ressentie pour toutes les déportées arrêtées pour des raisons raciales ou celles qui, ayant été otages, avaient du être incarcérées à la place de quelqu’un d’autre… Les femmes de mon block partageaient le même idéal, notre sort était le même ; toutes étaient entre les mains de l’autorité supérieure du camp qui pouvait à n’importe quel moment venir nous chercher et nous faire subir le sort de Renée Lévy…

    Dans le camp, il n’y avait plus de barrières sociales, les vingt-trois nationalités représentées étaient toutes solidaires, on pouvait ainsi ne pas désespérer de la noblesse des êtres humains. Jeanne Ferrès a évoqué de nombreux actes de solidarité et d’amour. Ainsi celui de Mère Marie, religieuse orthodoxe qui avait été déportée pour avoir organisé un réseau d’accueil pour les évadés (4) . Lorsqu’une jeune femme juive, qui était mère, fut appelée pour être exécutée, la religieuse alla mourir à sa place…

     

    Autre souvenir, celui d’un bébé, Jean-Claude, qui fut sauvé par plusieurs détenues. Pour le nourrir, elles avaient transformé des gants de chirurgien volés et troués pour former des tétines.

    Jeanne Ferrès n’était plus à Ravensbrück lorsque le camp fut libéré. En effet la Croix-Rouge, dirigée alors par le comte Bernadotte de Suède (5), avait engagé des tractations avec les Allemands. Ces derniers avaient réuni toutes les NN ressortissantes des pays occupés par l’Allemagne et les avaient acheminées sur le camp de Mauthausen.

     

    Il revint ensuite chercher les françaises. Au total, Bernadotte aurait sauvé jusqu’à 25000 détenus. Jeanne Ferrés, elle, s’était cachée avec une douzaine de ses camarades. Elles réussirent à se dissimuler pendant quelques jours dans les plafonds du block, mais finirent pas se faire prendre et elles furent échangées contre des vivres et des médicaments. Ravensbrück fut libéré une semaine après son départ.

     

    Le moment du départ du Camp ne fut pas marqué par la joie ; les cadavres entassés devaient être brûlés sans délai, les armées alliées approchant, la fumée et l’odeur étaient partout, et Jeanne a pu dire : J’en garde un souvenir tel que je n’ai jamais pu remettre les pieds, en visite, dans un camp de concentration, ni aller à aucun pèlerinage. en pensant à toutes ces femmes que je laissais là-dedans…donc, je n’étais pas contente :

    ce n’était pas la Délivrance d’un Camp…L’odeur de toutes ces femmes porteuses de plaies infectées, de maladies de toutes sortes, l’odeur de l’Humanité souffrante en plus de cette fumée issue des fours crématoires…C’est un événement que j’aurais été incapable de raconter avant car cela m’aurait fait trop mal mais désormais, je peux plus facilement témoigner.

     

    La douzaine de déportées avait alors rejoint la Suède, après avoir traversé le Danemark, qui leur avait réservé un accueil triomphal, bien que ce pays fût encore occupé par les Allemands. Dans un premier temps, elles furent placées en quarantaine dans un gymnase de Trellebeurg puis dans un petit village, Ryd, au nord de Stockholm (où théâtres et cinémas avaient été équipés pour leur hébergement).

    Le 8 mai 1945, elle put saluer la capitulation de l’Allemagne en présence d’ un représentant français.

     

    Les dangers de contamination passés, après un suivi médical très poussé, une réalimentation progressive dûment dosée (Jeanne Ferrés pesait trente-deux kgs à son arrivée !) choyées comme des nourrissons, nous sommes parties à douze dans un château situé à trois kilomètres de Stockholm, Hässelby Slott .

     

    Lorsque notre témoin rentra enfin chez elle, son père était revenu d’Angleterre. Elle ne put ni retrouver son existence antérieure, ni raconter son expérience à ses parents. Elle pesait soixante kilos à son retour ; comment expliquer ce qu’elle avait subi ? C’était incommunicable. Elle apprit de sa mère l’existence difficile que celle-ci avait dû mener avec ses deux plus jeunes enfants. Jeanne Ferrès choisit de partir de chez elle peu après son retour…

     

    Laissons la parole aux élèves :

    Nous fermons nos blocs-notes, une impression étrange flotte. Notre esprit fait un bond dans le temps avant de retrouver nos camarades flânant déjà dans le Musée.

    Pas de paroles échangées, mais nous nous rappelons la rage que nous a avoué ressentir Jeanne Ferrès lorsque des personnes nient l’existence des camps de concentration. Il nous revient aussi à l’esprit la solidarité présente à chaque horreur, à chaque injustice. Nous semblons accorder à présent peu d’importance à certaines valeurs pourtant fondamentales.

    Nous n’oublierons pas avant longtemps ce témoignage et s’il peut nous préserver de vivre les mêmes situations, ce sera une bonne chose.

     

    Voici le message final que Jeanne Ferrès a voulu délivrer aux jeunes gens venus l’écouter :

    « Je n’ai pas la moindre animosité à rencontre du peuple allemand qui a été le premier à souffrir d’un régime basé sur la terreur et la délation. Il fallait être courageux pour oser se rebeller et pourtant, il y eut la Résistance Allemande. Elle a payé très cher et fait preuve d’un courage admirable très tôt : c’est pour les opposants allemands que les premiers camps de concentration ont été construits ! La Résistance allemande était formée de catholiques, de protestants, de socio-démocrates, des communistes de l’Orchestre rouge

     

    (6 ) et d’étudiants comme ceux de la Rose blanche (7 ).

     

    Cependant, aujourd’hui, malgré les cinquante années qui se sont écoulées, je ne peux pardonner aux nazis les souffrances qu’il ont infligées à mes compagnes de déportation, aux enfants martyrisés à Ravensbrûck, pauvres victimes innocentes d’une idéologie abjecte. Témoin visuel de ces atrocités, non, je ne peux vraiment pas pardonner !

    Pas de pardon non plus pour les Français qui ont offert leurs services à ces bourreaux, les égalant même parfois. Pas de pardon aux français qui n’ont pas hésité à livrer leurs compatriotes souvent de façon anonyme, parfois pour de l’argent, sachant qu’ils les vouaient à une mort certaine.

     

    Derrière chaque déporté, il y a peut-être un français qui l’a dénoncé. Par leur attitude, les français ont participé au génocide et à l’arrestation d’autres Français qui se faisaient un devoir d’agir dans le but de réhabiliter l’honneur de la France.

    Je garde de la haine pour les nazis adeptes d’une abjecte idéologie, comme pour les négationnistes de France et d’ailleurs. Ils sont nuisibles : la seule chose à faire est de ne pas voter pour eux : le vote est , en effet, la seule arme du citoyen.

    J’ai essayé de vous apporter les précisions qui me paraissaient utiles pour un exposé très complet. Je me rends compte qu’il est très difficile de parler de soi. Je l’ai fait pour que vous serviez de relais auprès des plus jeunes qui ne pourront pas nous entendre puisque nous ne serons plus là. N’oubliez pas notre message. IL tient en un seul mot : Vigilance

     

    Après la Guerre, Jeanne Ferrès . a entrepris des études d’infirmière et d’assistante sociale.

     

    Et elle a trouvé un emploi dans un service de Prévention de l’Enfance en Danger , choix professionnel qui découle directement de ce qu’elle a pu observer à Ravensbrück

     

     

    Propos recueillis et mis en forme par Marie-Céline Bard, 15 ans

     

    sources :

    https://sites.google.com/site/parolesderesistantsnormands/7-jeanne-ferres

     

     

     

     

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    François Guérin

    Second d’une famille de quatre enfants, Monsieur François Guérin naît en 1926.

    Originaire d’Ile-et-Vilaine, la famille Guérin débarque à Bayeux et achète une pharmacie.

    Agé de dix ans, Monsieur Guérin rentre alors au collège.

    Quelques années plus tard, son père tombe gravement malade . Manquant d’argent, la famille est dans l’obligation de vendre la pharmacie en 1940, après l’arrivée des Allemands.
    Monsieur Guérin quitte pour la première fois le collège en juin 1940.

    C’est alors l’exode massif des populations du nord de la France qui fuyaient devant l’avancée allemande alors que l’armée française était dans une situation de débâcle complète. Un ami de ses parents décide de porter secours aux membres de sa famille établis à Rouen.

      

    La ville est bombardée, les dangers sont nombreux. Il faut fuir.

    Cet ami, ayant des amis dans les Landes, décide de les conduire à Castets. Désirant ne pas revenir en Basse-Normandie seul, il obtient des parents de François Guérin que le jeune homme l’accompagne.


    Le retour fut impossible et les deux jeunes gens se retrouvèrent bloqués trois mois durant dans les Landes. La ligne de démarcation établie, coupe alors la France en deux.

    « C’est à Castets, dans les Landes, que je vis l’arrivée des Allemands… »

    Quand il rentre à Bayeux, après trois mois d’exil, François est animé d’un profond sentiment de « rejet » envers les Allemands.

      

    Son état de collégien l’obligeait à vivre dans des conditions déplorables ; la ville ayant été bombardée, les cours avaient lieu dans l’ancienne prison de Bayeux. Le jeune François « entre » petit à petit dans le mouvement de résistance des collégiens…

     

    Dès le début de la guerre, des membres de la famille de Monsieur Guérin fuient Dunkerque, ville bombardée. Ils ont tout perdu et ont rejoint le flot des réfugiés du nord de la France et de la Belgique, qui partent par tous les moyens possibles.

      

    Arrivés en pleine nuit, en juin 1940, ces cousins durent loger plusieurs mois chez les Guérin, avant de pouvoir trouver un logement près de Bayeux. Ils resteront là toute la guerre… Ils ne sont pas les seuls à fuir en empruntant au péril de leur vie les routes de France : le mécontentement général est alors à son paroxysme.

    Pour Monsieur Guérin, la débâcle générale de mai 1940 fut la première vision de la guerre.

    L’occupation de Bayeux par les Allemands fut très mal perçue et vécue par tout le monde. Les autorités allemandes imposent le couvre-feu général et l’interdiction de se réunir, mesures très désagréables :

      

    Très vite, Monsieur Guérin enfreint ces interdictions : avec quelques-uns de ses camarades, ils se réunissent chez un libraire voisin (qui fut malheureusement déporté), et y écoutent les informations anglaises… Ils sont au courant de l’emplacement de bunkers, des canons, des troupes allemandes…

    Monsieur Guérin devient alors véritablement résistant.

    Parallèlement, son frère aîné opérait avec brio dans le « monde de l’ombre ». Même le jeune François n’était pas au courant des activités secrètes de son frère.

    Grand résistant, il fit des opérations extraordinaires et fabriqua de faux papiers pour les jeunes qui cherchaient à fuir le STO (service de travail obligatoire). A Bayeux, sous la vigilante surveillance allemande, le réseau de résistance Centuries s’étiolait. Son travail était surtout basé sur le renseignement.

    Il exerçait une grande activité en Normandie car il était indispensable pour les Alliés de connaître tous les mouvements des troupes allemandes à proximité du Mur de l’Atlantique…

      

    C’est ainsi que Monsieur Guérin et ses camarades du collège apprennent en Janvier 1943 qu’un avion anglais s’est écrasé sur la côte normande, près de Bayeux. Ils décident alors de rendre hommage au pilote mort en apportant des fleurs au cimetière de Saint Martin-des-Entrées.

      

    Cent quatre-vingts personnes étaient réunies autour de la tombe. Malheureusement, de « bonnes âmes » — ironise François Guérin —, préviennent les Allemands de leur visite et ils se font tous contrôler à la sortie du cimetière…

     

    Deux jours plus tard, Monsieur Guérin, qui a alors seize ans, et quelques uns de ses amis se retrouvent convoqués à la feldgendarmerie et ils passent une nuit à la Kommandantur. Le lendemain, lui et deux jeunes filles, dont Yvonne Lerouge (qui fut déportée le 23 Août 1943 avec Monsieur Guérin, puis incarcérée au camp de Ravensbruck) sont relâchés miraculeusement grâce à l’intervention d’une personne inconnue…

     

    « L’interprète de la feldgendarmerie qui était un client de la pharmacie de mes parents?

     

    Quoi qu’il en soit, je fus relâché après avoir cependant entendu de la Gestapo un sermon menaçant : maintenant, me dirent-ils, vous avez intérêt à vous tenir tranquille, car la prochaine fois, on ne vous relâchera pas… »

     

    A la suite de cette première arrestation et de peur qu’un événement de ce type ne se reproduise, les parents de Monsieur Guérin le retirèrent du collège et prièrent le directeur du Crédit Industriel de Normandie de l’embaucher dans sa société, ce qui se réalisa en mars 1943…

     

    Mais le 23 Août 1943, un lundi matin, au domicile de ses parents, la Gestapo arrêtait de nouveau Monsieur Guérin. « J’étais le premier de notre groupe à l’être. » Bientôt, son ami, Jacques Noé est lui aussi saisi par les Allemands.

      

    A la Kommandantur, ils retrouvent leur amie résistante Yvonne Lerouge.

     

    Que s’était-il donc passé ?…

     

    Jacques Noé avait présenté un jour à François Guérin un de ses anciens camarades qui avait été élevé avec lui au petit séminaire de Caen. L’homme était d’origine polonaise. Il manifesta le désir d’obtenir des faux papiers pour passer la frontière espagnole. Confiants, les résistants Noé et Guérin avaient accepté. Ils présentèrent pour leur plus grand malheur, le Polonais à des amis résistants à Port-en-Bessin qui avaient une filière de passage en Espagne.

    Le Polonais étant un indicateur de la Gestapo, ils se firent tous arrêter…

    A l’époque, chaque indicateur de la Gestapo recevait en moyenne cent francs de l’époque par personne arrêtée…

    Monsieur Guérin fut enfermé un mois dans la prison de Caen, puis il fut interrogé par la Gestapo à la Kommandantur et fut finalement transféré à Fresnes durant un mois encore… Il est ensuite incarcéré au camp de Natzweiler Strutthof en Alsace, le 11 Novembre 1943.

    Monsieur Guérin, fringant jeune homme, n’est plus alors qu’un numéro : 5957.

    L’homme n’existe plus sous l’oeil des tortionnaires, il n’est plus qu’un chiffre parmi tant d’autres.

    Puis, du fait de l’avance des troupes alliées, François fut finalement transféré à Dachau le 5 Septembre 1944, avec son ami aveugle, Arthur Poitevin, professeur de musique, qui avait été arrêté dans la même affaire que Monsieur Guérin… (la larme à l’œil, Monsieur Guérin exprime son émotion par une longue pause dans la narration de son récit et respire lentement..)

    Le 11 Novembre 1943 commença donc le calvaire de la déportation. Monsieur Guérin comprit que son sort prenait un tour plus grave lors de son transfert en Alsace :

    « Arrivés, nous fûmes descendus des wagons à coup de bâtons. C’était la première fois qu’on nous battait. Jamais, on nous avait frappé en prison. »

    L’horreur des camps apparaît dès l’accueil des déportés au Strutthof. Certains compagnons d’infortune de Monsieur Guérin arrivaient épuisés par ce voyage infernal. D’emblée, le chef du camp employait la formule glacée : « ici, si on entre par la porte, on en sort par la cheminée… »

    Monsieur Guérin se souviendra toujours de ce terrible hiver 1943, où au lendemain de leur arrivée au camp de Strutthof, il y avait plus d’un mètre de neige. Pour lui et ses amis, bien qu’ayant cru un instant que leur sort serait meilleur, n’étant pas partis dans un camp en Allemagne, l’enfer commençait.

    « On nous a immédiatement conduits aux douches, où l’on nous a dépouillés de tout ce que nous possédions.

      

    Rasés, tondus complètement, nous reçûmes en échange des guenilles : un pantalon et une veste coupée, qui n’étaient pas rayés dans ce camp-là, mais sur lesquels il y avait des croix pour que l’on ne puisse pas passer inaperçu en cas d’évasion, ainsi que la mention NN (Nacht und Nebel, (Nuit et Brouillard) , façon brutale de dire : destiné à disparaître sans laisser de trace…) peinte sur le dos et sur les manches, un triangle rouge et notre numéro…

    Arrivés à notre bloc, le chef du bloc, un Luxembourgeois, qui offrait pour nous l’avantage de parler français, nous intima de coudre notre triangle et notre numéro sur nos fripes.

      

    Nous devions apprendre par cœur ce chiffre en allemand… », ce qui représentait une tâche bien difficile pour les compagnons âgés de Monsieur Guérin, qui n’avaient jamais appris un traître mot en allemand!

      

    « Nous n’avions plus de noms, nous étions des numéros, des « stucks » comme disaient les Allemands… »

     

    Les conditions de vie au Strutthof, camp d’extermination, étaient terribles. « Un commando nous faisait horriblement souffrir. Nous devions notamment, à proximité des camps, élargir un tunnel, qui était avant-guerre une champignonnière, et qui devait accueillir une usine souterraine »

    Une route menant à ce tunnel devait être empierrée.

      

    Ils le firent, endurant les plus grandes souffrances :

    « les civils que nous rencontrions alors nous jetaient des cailloux. On leur avait dit que nous étions des terroristes…

    Au Strutthof, il n’y avait jamais de repos. Nous étions condamnés aux travaux les plus rudes, et le soir, au bloc, le chef du bloc qui était toujours un droit commun (un voleur, un criminel) continuait les supplices de la journée »

    Monsieur Guérin se souvient des Kapos terribles qui les surveillaient. L’un d’eux, avec lequel il ne fut heureusement jamais en contact, que l’on surnommait au camp le sanglier 1416, et qui était un droit commun, a tué à coups de manche de pioche de nombreuses personnes. Il a fait cela comme ça, sans raison.

      

    Ces gens-là avaient un droit de vie et de mort sur les déportés…

     

    Le Strutthof fut le comble de l’horreur pour Monsieur Guérin. Aujourd’hui, il est le Mémorial national de la Déportation que tout le monde peut visiter.

    Le Strutthof était avant-guerre une station de ski pour les Strasbourgeois qui recherchaient des cures d’air pur !

    .

    Le 5 Septembre 1944, en raison de la progression des Alliés, le camp de Strutthof est évacué. Après deux jours d’un voyage atroce, Monsieur Guérin arrivait à Dachau.

     

    Le voyage s’était déroulé dans des wagons à bestiaux, où cent-vingt déportés étaient entassés, tellement compressés qu’ils ne pouvaient ni s’asseoir, ni s’accroupir!

     

    Deux SS étaient au centre du wagon. Pour Monsieur Guérin, rien ne fut pire que la soif. Si une boule de pain leur avait été remise, aucune boisson ne leur fut accordée, si bien que personne ne put manger quoi que ce soit A l’arrivée, nombreux étaient les compagnons d’infortune de Monsieur Guérin à avoir sombré dans la folie ou à être morts.

     

    —« Si nous n’avions pas eu d’espérance, souligne Monsieur Guérin, nous ne serions pas là. Nous étions une équipe finalement de copains. Individuellement, il était impossible d’avoir l’espoir de sortir vivant du camp, nous vivions ainsi en partageant la minuscule tranche de pain avec les autres, plus démunis, plus faibles, plus malades.

      

    Nous savions pourquoi nous avions été arrêtés et cela nous motivait nous soutenait moralement. Continuer à lutter pour vivre était une façon de poursuivre te combat engagé. »

    Monsieur Guérin arrive au camp de Dachau où on lui retire les guenilles qu’on lui avait données au Strutthof. Au bloc 17, il retrouve par hasard le docteur Michel, médecin-résistant à Bayeux et ami de Monsieur Guérin.

      

    Le docteur Michel est le médecin responsable d’une chambre du bloc 17, une chance pour Monsieur Guérin! Il lui propose, ainsi qu’à son ami de les faire passer pour malades et décide de les faire transférer au bloc des invalides, le bloc 30…

    Mais le bloc 30 est un bloc où il y a surpopulation et donc régulièrement, les SS, les commandos du ciel font des ponctions. Ceux qui en partent ne reviennent jamais…

      

    (« Dans ce bloc, nous constations que régulièrement avait lieu des « transports », c’est-à-dire une sélection en présence d’un médecin SS qui éliminait les plus âgés, les infirmes, les malades qui partaient pour le « Himmel Kommando » »).

      

    Pris de peur, avec un troisième ami, ils décident de repartir de ce bloc en faisant passer leur ami aveugle Arthur pour voyant : « on le faisait marcher à côté de nous, comme s’il voyait ».

    Ils réussirent à être admis au bloc 27. Dans ce bloc 27, François Guérin partage la même chambre avec son ami Arthur Poitevin, Camille Blaisot, ancien ministre, député du Calvados, ainsi que le colonel De Job, interprète d’allemand à la mairie de Bayeux.

    En évoquant le chef de la chambrée, un Arménien, Monsieur Guérin ne peut cacher sa rancœur, son dégoût, sa colère. Le souvenir des injures, des brimades, des souffrances est trop fort Cet Arménien avait surtout pris pour victime Camille Blaisot, « un homme à la tenue exemplaire au camp », que le typhus a finit par emporter en Janvier 1945.

      

    Monsieur Guérin eut finalement beaucoup de chance. En effet, par l’intermédiaire d’un ami détenu qui réparait les postes de radio pour les Allemands, ce qui permettait d’écouter secrètement la BBC, Monsieur Guérin put obtenir son transfert au bloc 14, le bloc des cuisines le 23 Février 1945.

      

    C’était un bloc propre, sans puces, ni poux et surtout, on y donnait à deux par paillasse et non plus à cinq comme dans les autres baraquements !

     

    Ils sont « privilégiés », car outre un repos tranquille, ils peuvent y obtenir une ration de soupe suplémentaire.

    Les mots sont vains pour exprimer la joie profonde qui s’empara de Monsieur Guérin lorsqu’il sut que le 6 juin 1944, les Alliés avaient débarqué en Normandie, à Arromanches.

      

    Arromanches, il connaissait bien, il y avait été souvent car, habitant à Bayeux, il y livrait souvent pour ses parents des médicaments.

      

    Cela représentait alors un privilège exceptionnel car la côte normande était une zone interdite. Les conversations avec les sentinelles allemandes qui lui offraient de temps en temps quelques cigarettes, avaient permis à la Résistance de recueillir certaines informations qui se révélèrent très utiles.

    Pour Monsieur Guérin, c’était un endroit idéal pour le Débarquement car les défenses y étaient quasi inexistantes…

      

    Mais de là à penser que les Alliés y établiraient un port artificiel!…

     

    Le jour de la libération du camp de Dachau, le 29 avril 1945, Monsieur Guérin était toujours au bloc 17. Avec un ami, pour la première fois, ils reçurent un colis de la Croix-Rouge qui

    était en fait destiné à des prisonniers de guerre… En vérité, à cette époque, la Croix-Rouge avait fait pression sur les Allemands en exigeant une réciprocité : la Croix-Rouge s’occuperait des prisonniers de guerre allemands si on lui laissait la possibilité d’envoyer des colis dans les camps de concentration.

      

    Avec la pénurie des moyens de transport, une partie des colis destinés à d’autres camps arrivèrent finalement à Dachau…

      

    Dans ces colis, un trésor : des nouilles !… Monsieur Guérin et ses amis s’en régalèrent après avoir bricolé un réchaud de fortune, pendant que les Américains s’approchaient du camp.

    Monsieur Guérin se souvient très bien du premier soldat américain à être entré dans le camp en passant par-dessus la porte cadenassée : Ce fut une « magnifique jeune femme blonde », Margaret Higgins, reporter de l’armée américaine, accompagnée du soldat américain Kahn israélite et d’un aumônier.

      

    Certains S S dans les miradors résistèrent mais furent finalement tous abattus. Certains avaient eu l’idée de se déguiser en déporté. Monsieur Guérin témoigne : « Le SS Rapportfiihrer du camp a été retrouvé deux jours après aux environs à Dachau. Ramené, il fut ensuite installé sur la tribune au-dessus de la porte du camp. On lui demanda de raconter tout ce qu’il avait fait, ce qu’il fit sans aucun gêne apparente.

      

    Quand il eut tout raconté, il y avait dehors des milliers de cadavres qui n’avaient pu être brûlés parce qu’il n’y avait plus de charbon.

      

    On lui fit transporter les cadavres, sans masque et sans gant.. Au bout de deux jours, il y avait laissé sa peau. Il l’avait bien mérité. »

    A la libération du camp, il y avait un nombre incroyable de déportés malades du typhus, dont Monsieur Guérin. Ce dernier se souvient avoir accompagné certains officiers américains dans les blocs du camp, ils connurent l’horreur en découvrant l’état si squelettique des déportés, et ces soldats se mirent à pleurer comme des enfants…

      

    L’infection était partout.

      

    Progressivement, les Américains aménagèrent les baraquements qui servaient à loger les S S pour y transporter et y soigner les déportés.

      

    Les Américains ne voulaient pas encore les laisser partir en raison des maladies contagieuses. Un ami français du frère de Monsieur Guérin (encore un heureux hasard pour lui…) était chargé deconduire un camion américain de ravitaillement.

      

    Il décida de cacher Monsieur Guérin et quelques autres déportés dans son camion. Il les emmena à 25 Km du camp. De là, ils partirent à pied rejoindre l’armée du général Leclerc.

     

    Finalement, Monsieur Guérin rentra en camion jusqu’à Strasbourg, puis en train jusqu’à Paris.

      

    Enfin, il regagna Bayeux le 15 mai 1945 après 21 longs mois d’absence.

     

    À son arrivée, il tomba gravement malade et se retrouva dans le coma durant 2 mois à cause du surmenage physique et moral vécu pendant ces durs moments d’emprisonnement…

     

    Il eut beaucoup de mal à se réadapter à la vie quotidienne. Il était absolument incapable de reprendre ses études.

      

    Aussi, choisit-il de travailler chez un ami expert agricole, ancien résistant aussi. Il dut s’occuper au lendemain de la guerre de la réquisition des terrains d’aviation anglais de la côte normande. Aidé considérablement par ses proches, il réussit peu à peu à se réadapter à la vie de tous les jours.

    Un peu plus tard il participa aux opérations de déminage en ayant des S S sous ses ordres : « Je n’ai jamais touché un SS, commente-t-il, alors qu’ils ne nous firent pas de cadeaux, même à ce moment-là… Ils tentèrent de s’évader souvent… Si certains sont morts pendant le déminage, cela est dû à leur maladresse. »

      

    Lorsque nous lui avons demandé :

      

    »Que vous inspire le mot tolérance ? »

     

     

    Monsieur Guérin réfléchit un moment, puis répondit calmement qu’il avait toute sa vie durant essayé d’être tolérant.

    La tolérance pour lui, c’est en fait la prise de conscience des risques qu’il prenait en transgressant les interdits. Maintenant, s’il y a bien une chose qu’il ne peut supporter, c’est l’injustice et la privation de la liberté.

     

    Pour lui, deux choses sont très importantes :

      

    la liberté et la démocratie. Et il espère de tout son cœur que toutes les races puissent un jour s’entendre comme lui et ses compagnons s’entendaient dans les camps et se soutenaient mutuellement.

      

    Finalement, Dachau a fait d’eux les premiers européens, tant le cosmopolitisme était grand et l’entraide nécessaire.

      

    « Les Nazis voulurent nous avilir, faire de nous des bêtes…» et Monsieur Guérin de nous exhorter à croire en ce que l’on fait : « il faut s’accrocher, ne jamais se laisser aller dans la vie…

      

    Et avoir des amis » Avec tous ses anciens compagnons de Dachau et Strutthof, des liens indéfectibles se sont tissés, une fraternité sans faille que seule la mort peut interrompre.

      

    Lui même eut pour meilleur ami après la guerre, un soldat autrichien qui avait été enrôlé de force dans l’armée allemande. Il n’a que du mépris pour tous les « négationnistes » qui prétendent, que tout cela n’a jamais existé. « Ceci est inacceptable !…» Monsieur Guérin mise tous ses espoirs sur les ardents défenseurs de la paix mondiale ainsi que sur la nouvelle sagesse que cette guerre a pu engendrer…

      

    Plus jamais ça !…

      

    Ce qu’il a vécu, il ne veut plus jamais le revivre et ne souhaite à personne de connaître de telles souffrances. Il ne veut rien oublier. S’il a connu des moments atroces, il garde aussi en mémoire le souvenir d’heures magnifiques et émouvantes qui resteront à jamais gravées dans son esprit :

      

    Je ne veux rien oublier ; il faut dire ce qui s’est passé sans exagération, sans haine, sans passion, simplement ce que nous avons vécu…

    Propos recueillis et mis en forme par C F et O D, 15 ans

     

     

    https://sites.google.com/site/parolesderesistantsnormands/1-francois-guerin

     

     

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