A Toulouse un encombrement inouï….
Les cafés sont pleins de soldats qui se sont démobilisés, qui viennent Dieu sait d’où, jouent au billard avec les officiers…
L’encombrement des rues est inouï, impossible d’avancer dans le centre de la ville.
Sur la route de Tarbes, toujours le défilé ininterrompu dans les deux sens, de voitures de réfugiés et de camions militaires.
A Muret , fief de Vincent Auriol, où nous nous arrêtons un instant, l’euphorie frise l’indécence, la guerre est finie, l’absinthe coule à pleins bords.
FORTUNE et MARCHE NOIR
A la fin du mois d'octobre, et surtout dès novembre 1940, avec l'apparition du froid et des journées plus courtes, voici le train des restrictions. Comme il arrive nécessairement dans les périodes de disette.
l'Administration réglemente : les cartes d'alimentation mettent en évidence la raréfaction des denrées ; les prix étiquettent la réalité : trois jours sans viande ; on s'inscrit dans les boutiques pour essayer d'échapper à la queue ; les restaurants sont classés en quatre catégories.
Les commerçants prennent de l'importance.
L'Etat se sert du commerçant comme d'un pourvoyeur, d'un répartiteur, d'un percepteur, d'un contrôleur ; et celui-ci saisit la balle du profit au bond.
L'épicier, le crémier deviennent de petits princes : non contents de répartir, ils font la morale, au nom du Maréchal, leur grand homme ; n'est-ce pas lui qui est resté près d'eux, qui a prononcé les paroles les plus humaines, qui a révélé aux Français les fautes dont ils paient le prix amer ?
Donc, finie la vie large, les vitrines garnies !
Se restreindre, calculer, économiser, faire des provisions, voilà la doctrine, et patienter, attendre d'être servi à son tour ; si on n'a pas sa ration aujourd'hui, tâcher d'être parmi les premiers à faire la queue demain. Oui, finie la vie de château, dont notre peuple n'a que trop joué (dixit Pétain) !
La vie de château, le mot le dit, sera réservée aux féodaux de cette nouvelle société — les paysans et les commerçants, fournisseurs et distributeurs, avec la cohorte louche des intermédiaires.
Contrairement à la courbe des échecs familiaux, la courbe des faillites commerciales tombera presque à zéro.
Les épiceries, les entreprises de transport, les vendeurs de textile vont se multiplier. Dans cette nouvelle jungle, les lois ne sont pas appliquées, parce que la situation est fausse : l'Occupation n'a jamais été et ne sera jamais un régime normal ;
le véritable maître, l'Allemand, se cache derrière l'Administration française à laquelle il n'a qu'apparemment confié les rênes.
Mais il se sert d'abord et l'Administration ne dispose que des restes, sur lesquels des millions de Français se jettent voracement.
Dans cette ruée, pas de sentiment Les plus malins l'emportent.
Entre 1940 et 1941, la liste des denrées rationnées s'est allongée. Après le pain, c'est le sucre, puis le beurre, la viande, le café, la charcuterie, les oeufs, l'huile, le chocolat, le poisson frais, le lait et, enfin, les pommes de terre.
Au cours du premier hiver les Français sont relativement favorisés pour les rations.
Ils ont, par mois,
450 g de beurre et 1 kilo de viande, et par jour
350 g de pain.
Mais ils sont peu à peu amenés à la portion congrue au cours des années suivantes :
150 g de beurre en 1943 et
50 g en 1944;
400 g de viande ;
275 g de pain ensuite.
Les Français ont d'abord une réaction psychologique qui se traduit par un rush sur tous les magasins dans lesquels ils sont décidés à tout acheter, y compris les rossignols dont sont trop heureux de se débarrasser les vendeurs.
Mais qu'importe, pour les avoir, ils attendent leur tour... ils font la queue.
C'est une sujétion, c'est parfois un amusement, mais cela devient aussi un métier puisqu'en le pratiquant on peut gagner 4 à 5 francs de l'heure si l'on remplace une personne que ce stationnement ne divertit pas.
Les membres d'une même famille se relaient devant la porte de l'épicier en attendant que la voiture de celui-ci revienne de l'approvisionnement.
Quelquefois le véhicule est vide, mais les heures passées en vain ont permis aux ménagères de bavarder, d'échanger des recettes et de tricoter en dépit du froid et de la pluie.
Sources