Henri Lafont et la "Gestapo française"
de la rue Lauriston
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Henri Chamberlin dit Lafont en 1944 |
Henri Chamberlin (1902-1945), dit Henri Normand ou Henri Lafont, fut le patron de la "Gestapo française" de la rue Lauriston.
Il figure dans plusieurs textes de Patrick Modiano.
Cité notamment dans La Place de l’étoile, Henri Lafont se retrouve également sous les traits d’un des personnages importants
de La Ronde de nuit, Le Khédive.
Orphelin de père à 11 ans, abandonné au même moment par sa mère de même que ses 5 frères et sœur, Henri Chamberlin connaît une enfance miséreuse.
Il vit d’expédients, et se retrouve vite envoyé dans une maison de correction très dure, celle d’Eysses, à Villeneuve-sur-Lot.
Après son service militaire, puis quelques petits boulots, il vole, et est envoyé en prison, puis au bagne de Cayenne.
Il réussit à s’en évader.
Vers 1939, il obtient la concession d’un garage Simca à Paris, porte des Lilas, sous la fausse identité d’Henri Normand.
Avec la guerre, il est cependant obligé de stopper cette activité, faute de clients. Il devient alors gérant du mess de la préfecture de police de Paris.
Peu de temps auparavant, il avait en effet noué de bonnes relations avec la police, en offrant une Simca à l’Amicale de la préfecture de police, qui était venue quêter.
Un policier l’ayant reconnu, il est toutefois incarcéré en 1939 à la prison du Cherche-midi puis au camp de Cépoy, pour ne pas avoir répondu à l’ordre de mobilisation.
Il s’évade lors d’un transfert, en compagnie de plusieurs autres prisonniers, dont deux espions allemands. Recherché par la police française, il se rapproche alors des autorités allemandes installées à Paris, en particulier le colonel Rudolph, patron de l’Abwehr, et ses deux adjoints : Hermann Brandl dit Otto et le capitaine Radecke.
Sous le nom de Lafont (Patrick Modiano orthographie Laffont), il met alors en place pour leur compte une officine chargée à la fois de s’approprier des richesses françaises, et de participer à l’espionnage allemand.
Après plusieurs autres adresses, notamment l’avenue Pierre 1er de Serbie, ce bureau s’installe 93, rue Lauriston, dans le XVIème arrondissement.
Il est parfois surnommé La Carlingue.
Entre un cinéma et un restaurant, La Carlingue est citée par le narrateur de Voyage de noces dans la
"liste approximative de quelques endroits que nous fréquentions".
Codirigée par l’ancien policier Pierre Bonny, cette annexe de la Gestapo emploie une vingtaine de condamnés de droit commun libérés à la demande de Lafont :
truands, hommes de main, proxénètes, etc. Parmi les membres de la bande, Louis Pagnon dit Eddy Pagnon, Charles Delval,
Annie de Saint-Jaymes, Jo Attia,
Abel Danos dit Le mammouth, etc.
Le faux marquis Lionel de Wiett, Guy de Voisin,
Jean Luchaire, sa fille Corinne et sa maîtresse Yvette Lebon fréquentent également les lieux…
Peu à peu, ce « bureau d’achat » très particulier se double d’un service de basse police, où la torture est monnaie courante.
Une annexe située 3 bis place des Etats-Unis, et où s’installera plus spécialement
Pierre Bonny, sera d’ailleurs en partie aménagée en prison.
"Ces criminels utilisaient les sévices corporels comme méthodes d’interrogatoire et profitaient de l’immunité que leur conférait leur ausweiss spécial et leur permis de port d’arme, pour commettre d’innombrables délits :
vols au cours de perquisitions, fausses perquisitions au domiciles de personnes riches, chantages, trafics de toutes sortes. "
(Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Fayard 1962).
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Plaque sur la façade du 93 rue Lauriston |
"A son zénith, « Monsieur Henri » roulera en Bentley, s’entourera d’orchidées et de comtesses, et ses derniers mois seront hantés de rêves mégalomaniaques caractérisés."
(Pascal Ory, Les Collaborateurs, Le Seuil 1976).
Dénoncés par Joseph Joanovici, Henri Lafont, Pierre Bonny et six autres membres de la bande, dont Eddy Pagnon, sont condamnés à mort à la Libération et exécutés le 27 décembre 1944.
Eddy Pagnon, Modiano et la Gestapo française de la rue Lauriston
Collaborateur français, membre de la bande de la rue Lauriston menée
Eddy Pagnon est un personnage central de l’œuvre de Patrick Modiano.
Il revient, d’une façon ou d’une autre, dans de très nombreux textes.
Eddy Pagnon était le chauffeur attitré
Condamné à mort le 12 décembre 1944,
Eddy Pagnon fut exécuté le 27 décembre à 10h00 au fort de Montrouge avec sept autres membres de la « Gestapo française »
de la rue Lauriston :
Bonny, Lafont, Haré, Delval, Villeplane, Engel et Clavié.
Avant guerre, Eddy Pagnon aurait
dans un garage, indique Patrick Modiano dans plusieurs textes.
Puis pendant la guerre, durant l’hiver 1943, Albert Modiano aurait été arrêté dans une rafle,
emmené au dépôt de la Préfecture de police, et Pagnon l’aurait fait libérer.
Telle est du moins l’hypothèse que, sous couvert de fiction,
Patrick Modiano a répétée dans trois récits :
Il n'est cependant pas parvenu à vérifier cette hypothèse, et ne la cite pas dans son autobiographie Un pedigree lorsqu'il évoque les arrestations de son père.
Eddy Pagnon apparaît de façon assez fugitive
"Sylviane profite du silence pour raconter qu'un certain Eddy Pagnon, dans un cabaret où elle se trouvait en sa compagnie, a brandi un revolver d'enfant devant les clients terrifiés.
Eddy Pagnon... Encore un nom qui court dans ma mémoire. Personnage ?
Je ne sais pas, mais cet homme me plaît qui sort un revolver dont il menace des ombres."
Avant la guerre, Eddy Pagnon travaillait dans un garage d’Asnières dont "s’occupait" un certain Jendron.
Tous les deux sont devenus des amis de Claude Portier, mère de Christian Portier,
élève du collège de Valvert et l’un des camarades du narrateur.
"Qu’est-ce qui avait bien pu lui arriver, à cet Eddy Pagnon, pour qu’ils en parlent à voix basse?",
s’interroge le narrateur, Patrick.
Un début de réponse viendra 20 ans plus tard :
"Il travaillait pour les Allemands… Il nous a fait libérer quand nous avons été arrêtés, le père de Christian et moi… (…)
Les Allemands nous avaient passés à tabac…",
explique Claude Portier à la fin du livre.
On retrouve Louis Pagnon dans Dimanches d’août.
Cette fois, il est présenté comme l’un des propriétaires fugaces de la Croix du Sud, ce bijou de grand prix au centre du récit.
La pierre aurait été vendue en février 1943 par
"un certain Jean Terrail" à "un certain Pagnon, Louis".
"Selon une fiche de police ultérieure, la vente s’était effectuée en marks allemands.
Puis, en mai 1944, Louis Pagnon avait vendu le diamant à
"Louis Pagnon avait été fusillé en décembre 1944. De Bellune Philippe, lui, avait disparu, comme la Croix du Sud (…)".
Un chapitre de Dans la peau de Patrick Modiano,
de Denis Cosnard, le créateur de ce site (Fayard, 2011) est consacré à la véritable histoire Eddy Pagnon et à sa présence très forte dans l’œuvre de Modiano.
A lire aussi :
http://lereseaumodiano.blogspot.fr/2012/01/henri-lafont-et-la-gestapo-francaise-de.html