• Le CORPS des VOLONTAIRES FRANCAISES et le GROUPE ROCHAMBEAU

     

      

      

    Des femmes dans la France combattante pendant la Deuxième Guerre mondiale :

    Le Corps des Volontaires Françaises

    et le Groupe Rochambeau

    Elodie Jauneau*

     

     

     

    Cet article aborde la question de l’engagement des femmes dans l’Armée française pendant la Deuxième Guerre Mondiale grâce aux traces écrites qu’elles ont laissés. Dès 1940, plusieurs centaines de femmes rejoignent les rangs des FFL à Londres, mais aussi en Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie).

      

    Elles s’engagent dans les trois corps d’Armée et sont présentes dans la plupart des services. Souvent dénigrées par les hommes, sous-estimées aussi, ces femmes accomplissent pourtant des tâches essentielles entre 1940 et 1945. Cet engagement moral, physique et souvent idéologique dans l’Armée de la Libération, devient pour la plupart d’entre elles un tournant définitif dans leur vie.

      

    Nombreuses sont celles qui ont éprouvé le besoin de raconter cette période si « particulière » de leur vie. La lecture des témoignages et des souvenirs permet de comprendre quand et comment s’est déroulé leur engagement. Car, contrairement aux idées reçues, elles n’étaient pas toutes dans les transmissions ou dans les services de santé. Elles n’étaient pas non plus « que » des AFAT (Auxiliaires féminines de l’Armée de Terre). Grâce à un panel d’autobiographies et de souvenirs de guerre, les points abordés ici seront donc ceux du contexte et des motivations de l’engagement, des postes occupés par ces femmes, ainsi que du regard que les libérateurs ont porté sur elles pendant mais surtout après la Libération.  

     

     

    De gauche à droite Margueritte, Antoinette, Lucienne, Madeleine, Paule, Lucie et Michette

      

      

    Dès 1940 à Londres, après la défaite française, la Résistance extérieure s’organise et les premières femmes répondent présentes à l’appel du 18 juin du Général de Gaulle. L’armée de la Libération se met en place et compte très rapidement des femmes dans ses rangs.

      

    C’est une première dans l’histoire militaire française :

      

    Ces femmes signent un engagement militaire au même titre que les hommes et décident alors de servir leur pays, mission jusqu’alors réservée au sexe masculin. Cet engagement est le résultat de la loi dite « Paul-Boncour » du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation en temps de guerre, qui envisage pour la première fois de faire appel à toute personne en âge de combattre, indépendamment de son sexe. Même si pendant la Première Guerre Mondiale, des femmes avaient déjà porté l’uniforme militaire, elles étaient en fait, le plus souvent, infirmières civiles.

     

      

      

      

    En 1939, elles sont six mille six cents à s’engager dans l’Armée Française, en vertu de la loi du 11 juillet 1938. Elles sont alors majoritairement ambulancières et/ou servent dans les Sections Sanitaires Automobiles (SSA). Une autre grande nouveauté est d’avoir confié le commandement de toutes ces sections à des femmes. En 1940, après la défaite française, les SSA sont dissoutes et immédiatement après l’appel du Général de Gaulle, les FFL s’organisent et doivent, contre toute attente, faire face à une mobilisation féminine sans précédent, qui répond à un engagement volontaire et non à un appel à mobilisation.

    •  Tous les ouvrages sur les FFL donnent ce chiffre, sans distinction hommes-femmes.

    Réfléchir sur les femmes engagées dans la France combattante revient donc à mettre en lumière des soldates à part entière puisque les FFL, bien que constituées dans un contexte exceptionnel, répondent à une organisation militaire traditionnelle, de même que l’ensemble des armées de Libération fondées hors de la métropole.

      

    Les FFL sont créées à Londres par le Général de Gaulle, reconnu chef des Français Libres par Churchill le 28 juin 1940. L’enrôlement dans les FFL s’effectue donc d’abord à Londres dès l’été 1940. Fin juillet, on compte environ sept mille hommes dans les FFL. Ce n’est qu’après les premiers combats contre l’ennemi que d’autres unités combattantes pour une France libre se mettent en place en Afrique ou dans les DOM-TOM.

    Même si la plupart des ouvrages traitant de la Résistance française accorde depuis quelques années une large place aux femmes, au chapitre des FFL et de la résistance extérieure, elles sont – à de rares exceptions près – absentes. Quant aux ouvrages exclusivement consacrés aux femmes dans la Résistance, c’est la Résistance intérieure (réseaux ou Forces Françaises de l’Intérieur par exemple) qui domine tandis que les FFL et la résistance extérieure ne sont jamais abordées.

    Il y a au sein de ces unités, des femmes venues de tous les horizons. Cet article s’intéresse particulièrement à deux groupes, exclusivement féminins : le Corps des Volontaires Françaises (CVF) et le Groupe Rochambeau. Le CVF répond à l’engagement des femmes à Londres dès 1940 et est intégré par décret le 16 décembre 1941 aux FFL. Quant au Groupe Rochambeau, il est créé en 1943 à New York et immédiatement rattaché, non sans quelques difficultés, à la 2e Division Blindée (2e DB).

    • Service Historique de l’Armée de Terre (SHAT), 7 P 73-1 : Note du Général d’Armée de Lattre de Tas (...)

    La quasi-totalité des travaux consacrés aux forces françaises de l’extérieur ne traite que des militaires masculins et porte sur l’ensemble des formations, divisions et opérations menées par l’ensemble de ces forces sans faire de distinction hommes-femmes.

      

    Les femmes étant, pour la plupart, reléguées aux tâches administratives, ne méritent donc apparemment pas qu’on les mentionne. Pourtant, même qualifiées de subalternes voire ingrates4 les tâches que les femmes effectuent sont indispensables au bon déroulement des opérations.

    Cet engagement vécu par certains comme une invasion du féminin, place donc les femmes en position de pionnières d’une féminisation « subie » de l’Armée Française. Cette féminisation de la première heure sera envisagée sous deux angles : l’engagement en tant que tel et les questions qu’il pose à une institution fondamentalement masculine.

     

    Jacquotte Fournier et Crapette Demay dans la région de Champigny-sur-Yonne en juin 1945

    L’engagement : Les Françaises à Londres

    •  Loi du 11 juillet 1938, op. cit.
    •  Madeleine PELLETIER, Une vie nouvelle, Paris, E. Figuière, 1932, 247 p.
    •  Ibid., p. 100.

    La loi du 11 juillet 1938 est un tournant historique pour l’intégration des femmes dans l’Armée Française car elle envisage une mobilisation de toute la population en cas de conflit « sans distinction d’âge ni de sexe ».

      

    Cette loi, en projet depuis 1927, s’inscrit à la fois dans le contexte de la marche à la guerre mais aussi dans celui de la lutte des femmes pour l’obtention du droit de vote et l’égalité totale avec les hommes. Et l’accès aux armes et au droit de servir comme un homme sont au cœur des revendications de nombreuses féministes.

      

    Ainsi, dès 1932, Madeleine Pelletier, s’inspirant du projet de loi de 1927, imagine dans son roman Une Vie nouvelle, des femmes engagées dans le service armé de la nation6. Dans le roman, ces femmes déjà électrices et éligibles, payent aussi, en toute logique, l’impôt du sang : « Un projet déjà ancien sur la mobilisation générale de tout le pays avait été adopté. […]

      

    Parmi les femmes, une élite vigoureuse était versée dans le service armé. Depuis longtemps les femmes jouissaient de leurs droits politiques et on avait décidé qu’elles devaient comme les hommes l’impôt du sang ».

    • Janine BOULANGER-HOCTIN, entretien réalisé en 2005.

    Après le 18 juin 1940, quelques femmes quittent la France pour Londres. D’autres, résidant déjà en Angleterre, s’organisent et rejoignent la capitale anglaise.

      

      

      

    Lucie Delplancke

      

      

    Certaines, comme Hélène Terré (future commandante des Françaises à Londres) appartiennent déjà aux SSA avant la défaite et décident de continuer à servir leur pays. Ces femmes sont donc d’abord originaires de France et d’Angleterre mais, à partir du débarquement allié du 8 novembre 1942, les engagements féminins s’étendent à l’Afrique du Nord, à Haïti, à la Nouvelle Calédonie, à l’Amérique du Nord et du Sud, et aux colonies au fil de leur libération par les Alliés et les FFL.

      

    A titre comparatif, l’armée britannique compte déjà dans ses rangs, en 1940, trente cinq mille femmes des Auxiliary Territorial Service (ATS) qui jouent d’ailleurs un rôle considérable et influent dans la création des premières unités féminines françaises. En effet, faute de moyens et d’organisation, l’instruction des Françaises Libres se fait alors à l’école des ATS, et les Françaises revêtent les uniformes des soldates britanniques en attendant que la France Libre puisse leur en fournir. Seuls les insignes permettent de distinguer les ATS des VF.

    •  Luc CAPDEVILA, « La mobilisation des femmes dans la France combattante (1940-1945) », CLIO, « Le g (...)
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     Le 7 novembre 1940, à Londres, est fondée la première unité militaire du « Corps féminin des Volontaires Françaises » plus souvent appelé « Corps féminin des FFL », dirigé par l’ancienne championne de tennis Simone Mathieu puis par Hélène Terré. A l’origine composée de vingt-six femmes, cette formation répond au patriotisme de quelques femmes souhaitant œuvrer pour la libération de la France aux côtés de l’Angleterre. Désireux d’unir toutes les volontés autour de son combat, de Gaulle, bien que réticent, autorise la création de cette unité féminine des FFL et évite ainsi à ces volontaires d’être tentées de s’engager dans les ATS britanniques.

      

    Cette concrétisation s’obtient aux termes d’une lutte de pouvoir et d’intérêts avec Churchill, hostile à la création d’une deuxième armée féminine sur le territoire anglais. Ce n’est qu’à partir de 1940 que les appels à la Résistance française lancés depuis Londres commencent à considérer que les femmes, au même titre que les hommes, ont un rôle à jouer. Institutionnalisé le 16 décembre 1941, le Corps Féminin prend le nom de « Corps des Volontaires Françaises » (CVF) par un décret stipulant que ce corps est une « formation militaire auxiliaire féminine ».

      

      

      

    L’objectif du CVF est de remplacer tous les hommes aptes au combat par des femmes dans des emplois qu’elles peuvent exercer… sans « dénaturer » le sexe féminin.

      

    LA femme combattante n’existe pas encore… Si la loi Paul-Boncour a ouvert les portes de l’armée aux femmes, elle ne leur donne pas pour autant accès à la sphère du combat et au maniement des armes qui restent l’apanage des hommes.

    •  Jeanne BOHEC, La plastiqueuse à bicyclette, Paris, Editions du Sextant, 2004 (1ère éd. 1975), 285 (...)
    •  Section Française du SOE (Special Operation Executive). Le BCRA est dirigé par André Dewavrin, fut (...)
    •  Sonia VAGLIANO-ELOY, Les Demoiselles de Gaulle. 1939-1945, Paris, Plon, 1982, 262 p. et Tereska To (...)
    •  Eliane BRAULT, L’épopée des AFAT. Paris, Pierre Horay, 1954, 237 p.
    •  Sonia VAGLIANO-ELOY, Les Demoiselles… Op. cit.

    De nombreuses Volontaires Féminines ont témoigné de leur expérience dans la France Libre.

      

    C’est le cas de Jeanne Bohec, chimiste de formation, œuvrant pour le Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA), qui est très rapidement parachutée en Bretagne où elle prend la tête d’un groupe qu’elle forme au maniement des explosifs.

      

    C’est aussi celui de Tereska Torrès, Française à Londres pendant ses études qui, face à la débâcle française outre Manche, décide de rejoindre les FFL en s’engageant dès 1940, à l’âge de dix-neuf ans. D’autres, comme Sonia Vagliano-Eloy ou Eliane Brault, profitent de leur expérience personnelle en tant que Volontaire Féminine pour raconter « l’épopée » des « Demoiselles de Gaulle ».

    Tandis que le CVF se met en place au Quartier Général des FFL à Londres, un projet féminin d’une toute autre nature prend forme outre-Atlantique.

     

    Michette Duhamel, Anne-Marie Davion, un infirmier du 501e RCC et Crapette Demay

      

    Le Groupe Rochambeau

    •  Du nom du maréchal de France qui commandait l’armée de Louis XVI pendant la guerre d’indépendance (...)
    •  Nommé maréchal à titre posthume, c’est son grade de militaire en activité qui sera donc utilisé ic (...)

    En 1943, une riche Américaine, Florence Conrad, acquiert dix ambulances Dodge avec le soutien de puissantes ligues féminines et crée le Groupe Rochambeau.

      

    A droite, Florence Conrad ainsi que Denise Colin

      

      

    A New York, elle recrute quatorze femmes dont Suzanne Torrès (future épouse Massu) qui avait déjà servi dans les SSA. Florence Conrad s’attribue le grade de commandant et nomme Suzanne Torrès lieutenant.

      

    Ces femmes débarquent à Casablanca la même année dans le but de rallier la 2e DB stationnée dans la région.

      

    Elles contraignent le Général Koenig à contacter le Général Leclerc pour se faire admettre au sein de la 2e DB1.

      

    Leclerc, plus que sceptique, croit d’abord à une plaisanterie de la part de Koenig. Il lui semble inconcevable d’enrôler des femmes dans une division blindée et s’il accepte volontiers les ambulances, il refuse d’incorporer leurs conductrices. Il exige donc de voir ces femmes à l’exercice afin de vérifier qu’elles sont aptes à la tâche qu’elles prétendent accomplir. Somme toute, séduit par les ambulances, il finit par accepter ces femmes, mais uniquement jusqu’à Paris.

    •  Suzanne MASSU, Quand j’étais Rochambelle, Paris, Grasset, 1969, p. 57 et 85.

    Après cette première victoire, Suzanne Torrès recrute massivement des volontaires en Afrique du Nord. C’est ainsi que trente-six femmes intègrent une prestigieuse division de quinze mille hommes. Mais cette intégration est extrêmement difficile à cause de la méfiance et de la réticence que ces femmes suscitent, malgré un emploi pourtant traditionnellement féminin.

      

    Finalement, ce n’est pas tant la nature du métier qui pose problème ici mais bien le fait qu’elles pénètrent la sphère masculine du combat, du feu et de la violence, jugée contraire à la « nature » féminine. Avant tout ambulancières, celles que les hommes de la 2e DB surnomment « les Rochambelles » s’improvisent rapidement infirmières en mettant à profit la formation qu’elles ont reçue à New York.

    •  Rosette PESCHAUD, « Les Rochambelles », in Mechtild GILZMER, Christine LEVISSE-TOUZE et Stefan MAR (...)

    Elles sont affectées au 13e Bataillon Médical (BM), celui qui manifeste le plus de réticence à leur égard en les décourageant constamment. Rosette Peschaud, recrutée au Maroc se souvient : « Il nous a fallu faire la preuve que le courage d’une femme pouvait égaler celui d’un homme ».

      

    Les Rochambelles, comme toutes les infirmières et ambulancières de toutes les unités des armées de Libération, sont les femmes les plus exposées au feu puisqu’elles sont toujours en première ligne, au plus près des blessés.

    • Ibid.

    Elles quittent l’Afrique du Nord le 11 avril 1944 pour l’Angleterre. C’est là qu’elles se perfectionnent au métier de conductrice et de soldat : mécanique, marche au pas, respect de la hiérarchie, formation aux premiers secours dispensée par des ATS. Enfin, elles débarquent en juin 1944 à Utah Beach. A l’arrivée à Paris, Leclerc, prenant conscience du fait que leur présence est indispensable, les garde pour le reste de la campagne vers l’Allemagne.

    •  Suzanne TORRES, Quand j’étais Rochambelle, Paris, Grasset, 1969, 255 p., Edith VEZY, « Gargamelle (...)
    •  Marie-Gabrielle COPIN-BARRIER, Marguerite ou la vie d’une Rochambelle, Paris, L’Harmattan, 2001, 2 (...)

    A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, elles sont soixante-cinq. Elles sont cinq à avoir laissé une trace écrite de leur aventure au sein de la 2e DB : Suzanne Torrès, Edith Vézy, Zizon Bervialle, Jacqueline Fournier et Rosette Peschaud. Enfin, Marguerite Marchandeau est l’héroïne d’une biographie romancée dont l’auteure n’est autre que sa petite-nièce.

     

    Anne-Marie Davion, Raymonde Brindjon et Suzanne Torrès

      

    Modalités et motivations de l’engagement

    Ces femmes s’engagent avant tout par patriotisme et par idéologie, parvenant souvent à motiver quelques-unes de leurs amies. La majorité des femmes qui s’engagent n’ont – aux premières heures de la guerre – aucune vocation militaire et n’envisagent quasiment jamais de faire carrière dans l’armée.

      

    De toute façon, leurs contrats d’engagement ne leur permettent pas d’envisager l’armée comme une carrière sur le long terme puisque toutes sont enrôlées « pour la durée de la guerre » plus quelques mois (entre trois et six mois selon les cas). La fin de la Deuxième Guerre mondiale s’annonce donc comme synonyme d’un retour, sinon au foyer, tout au moins à une sphère professionnelle conforme à leur sexe.

      

    Pour beaucoup, c’est le contexte particulier de l’Occupation et de la défaite de 1940 qui a éveillé en elles un patriotisme ardent qu’elles ne soupçonnaient pas. En tant que membres d’une armée non reconnue par l’Etat Français, elles risquent les mêmes sanctions que les hommes, à savoir la peine de mort par contumace ainsi que la confiscation de leurs biens en France et la perte de la nationalité française. Et, si elles sont capturées, elles peuvent être fusillées au même titre que les francs-tireurs.

    •  Madeleine BOUE-LAHORGUE, entretien du 27 mars 2006.
    •  Citée par Rosette PESCHAUD, « Les Rochambelles », op. cit., p. 197.
    •  Témoignage de Rosette PESCHAUD in Dominique TORRES, Elles ont suivi De Gaulle, 18 juin 2000, Franc (...)
    •  Madeleine PELLETIER, Une vie nouvelle, op. cit., p. 100.
    •  SHAT 7 P 73 : archives de la guerre. Vichy – Londres – Alger – Paris. 1940-1946 : Organisation des (...)
    •  Témoignage de Tereska TORRES in Dominique TORRES, Elles ont suivi De Gaulle, 18 juin 2000, France (...)
    •  Témoignage de Claire in ibid. Sans doute s’agit-il de Claire Chicoteau, amie de Tereska Torrès, ma (...)

    Leurs origines sociales sont tout aussi diverses que leurs origines géographiques. Elles sont étudiantes comme Tereska Torrès ou Sonia Eloy, infirmières ou secrétaires de formation, sportives de haut niveau comme Simone Mathieu, médecins comme Suzanne Vallon ou Louise-Marie Lemanissier, qui est l’une des premières femmes médecins à être immédiatement engagée dans l’Armée Française à titre militaire. Parmi elles se rencontrent aussi des scientifiques comme Jeanne Bohec ou des artistes comme Joséphine Baker.

      

    D’autres encore sont pilotes, d’abord dans le civil puis au service de l’Armée, comme Maryse Hiltz, Maryse Bastié ou Margot Duhalde ; assistantes sociales ou femmes de militaires comme Marguerite Catroux (épouse du Général Georges Catroux). Enfin, certaines comme Madeleine Boue Lahorgue ou Michèle Mirande-Cambards sont d’abord engagées dans les FFI avant d’intégrer les FFL. Leurs parents sont militaires, artistes, de profession libérale ou encore commerçants. Lorsqu’elles s’engagent, toutes sont célibataires ou veuves, et pour les plus jeunes, l’engagement est impossible sans accord parental.

      

    Leur place au sein de l’Armée reste celle que la société veut bien leur accorder. Les Volontaires Féminines occupent donc des postes conformes à leur sexe. Quant aux Rochambelles, bien qu’au contact du danger et souvent de l’ennemi, elles ne sont jamais armées car l’accès au prestige du maniement des armes demeure exclusivement masculin.

      

    Paradoxalement, les Volontaires Féminines à Londres suivent un stage d’entraînement au tir au cours de leur formation alors qu’elles occupent majoritairement des emplois administratifs… Pendant des années, ces tâches jugées secondaires, subalternes ou ingrates ont relégué toutes ces femmes au second plan de l’Histoire des combattants de la Deuxième Guerre Mondiale. Faut-il donc être armée pour mener un combat ?

     

    Toutes ces femmes répondent aujourd’hui que l’arme ne fait pas le combattant et toutes mettent en avant leur patriotisme comme arme.

      

    Néanmoins, dans la panoplie du soldat, l’arme occupe une place de choix et l’accès des femmes aux fonctions armées n’interviendra que très progressivement dans le dernier quart du XXe siècle… en temps de paix. Les femmes en armes combattant comme des hommes mises en scène par Madeleine Pelletier relèvent davantage du fantasme et de l’imaginaire. Elle envoie ses héroïnes se battre au nom d’une lutte féministe contre la « nature féminine » toujours présente dans le roman : 

      

    " Néanmoins, par un reste de préjugé, on n’en envoyait au combat qu’une faible proportion ; on disait qu’il ne fallait pas tarir la race en envoyant les femmes se faire tuer. La plupart était dans les services auxiliaires : infirmerie, cuisine, ravitaillement, habillement ».

      

    Le fait, pour s’engager, de devoir être obligatoirement célibataire, veuve ou divorcée, sans enfant à charge, correspond à la volonté de ne pas troubler l’équilibre familial déjà mis à mal en contexte de guerre. Agées de dix-huit à quarante-cinq ans, elles sont surveillées de près car les autorités craignent que « la femme mobilisée » ne soit « amenée à compromettre sa dignité , en raison de la promiscuité avec les hommes. Pour beaucoup de femmes, le mariage signifie la fin de la carrière militaire.

      

    Quelques rares exceptions poursuivent leur mobilisation après leur mariage à condition qu’elles en aient obtenu l’autorisation de leurs maris et que le couple ait reçu l’aval des autorités militaires. A l’inverse, le mariage n’a aucune incidence sur les missions que doivent accomplir les époux, qui restent avant tout des soldats.

     

      

    Normandie 1944, Ecouché

      

    Claire, Volontaire Féminine mariée à un militaire du BCRA souhaite rejoindre le BCRA après son mariage mais, son mari ayant été parachuté en France, se voit refusé cette affectation afin d’éviter qu’elle ne reçoive de mauvaises nouvelles qui entraveraient son travail.

    Toutes les femmes qui ont choisi de lutter pour une France libre ont forcé les portes de l’Armée puisque leur engagement reposait au début sur le volontariat et la spontanéité. Dès lors, le regard que posent sur elles leurs contemporains et la façon dont elles sont désignées ne sont jamais neutres.

    L’incorporation des femmes dans l’Armée Française de la Deuxième Guerre Mondiale : légiférer, trouver les mots… le poids des représentations

    Réalités et contraintes liées à l’incorporation des femmes dans l’Armée

    •  Madeleine BOUE LAHORGUE, entretien.
    •  Reproduit à partir du décret n° 51-1197 du 15 octobre 1951, portant statut du personnel des cadres (...)

    Dans aucune des trois armes (Terre, Air, Mer) les femmes ne sont officiellement gradées. On parle alors de classes pour les officiers et de catégories pour les sous-officiers. Ainsi, Florence Conrad n’est donc pas commandant mais « officier hors classe » tandis que Suzanne Torrès n’est pas non plus capitaine mais « officier 1e classe ». Sans grade, les combattantes se font appeler « madame » ou « mademoiselle ».

    Il est indispensable de ne pas dissocier les termes « officier » et « 1e classe » puisque chez les hommes, un militaire « 1e classe » est en fait un militaire du rang en passe de devenir caporal. Dans le langage militaire, ces « grades » féminins différents de ceux des hommes, accentuent encore davantage la distinction très nette entre les sexes.

    Les fonctions les plus élevées ne peuvent s’accorder au féminin et une femme comme Florence Conrad ne sera donc jamais l’homologue féminine d’un commandant masculin. Elle ne sera jamais reconnue comme telle par l’administration militaire.

    Finalement, on parle alors de « grade d’assimilation», une hiérarchie confirmée par un décret le 15 octobre 1951. Cette différence d’appellation va bien au-delà de la simple question sémantique puisqu’elle se répercute directement sur les soldes et les retraites des femmes. Le tableau ci-dessous fait apparaître les correspondances des hiérarchies féminine et masculine.

    Correspondance de grades entre hommes et femmes dans l’Armée française pendant la Seconde Guerre mondiale

     

     

    Classes des personnels féminins

    Grades des officiers masculins

    Hors-classe

    1e classe

    2e classe

    3e classe

    Commandant

    Capitaine

    Lieutenant

    Sous-lieutenant

    Catégories des personnels féminins

    Grades des sous-officiers masculins

       Ie catégorie

    2e catégorie

    3e catégorie

    4e catégorie

    5e catégorie

    6e catégorie

    Adjudant-chef

    Adjudant

    Sergent-major

    Sergent-chef

    Sergent

    Caporal-chef

      

      

            .   SHAT, 7 P 73-1 : Instruction de l’AFAT, note AFAT/346/CAB du 24 novembre 1944.

    •  SHAT, 6 P 5 : note AFAT/1058/CAB du 27 février 1945.
    •  SHAT, 7 P 73-1 : Note du Général d’Armée de Lattre de Tassigny du 18 février 1946 : « ordre du jou (...)
    •  Témoignages divers : Rosette PESCHAUD, Suzanne MASSU, Tereska TORRES, Janine BOULANGER-HOCTIN… etc (...)
    •  SHAT, 4 H 337-7 : note de service 16092/3 du 6 novembre 1942.
    •  SHAT, 7 P 31-1 : ordre du jour n° 78 de l’ambassade de France à Londres du 17 octobre 1945.

    Le 26 avril 1944 est créé le corps des Auxiliaires Féminines de l’Armée de Terre (AFAT) qui regroupe les femmes des CVF, FFL et FFI. Plus tard, d’anciennes déportées qui décident d’œuvrer pour la Libération après l’horreur des camps, rejoignent les rangs de l’AFAT.

      

    Pour la première fois, toutes les femmes servant sous le drapeau de la France Libre appartiennent à une entité précise. Mais ce nouveau corps pose un nouveau problème de définition et d’appellation. En effet, en pratique, le « A » d’AFAT peut aussi bien signifier « Arme » qu’« Auxiliaire(s) ou « Armée ». Ainsi, en 1944, Hélène Terré se désigne comme « Commandant H. Terré, chargé de mission auprès de l’AFAT » et en 1945 « directeur de l’AFAT ».

      

    Elle emploie ici le sigle au singulier, faisant donc référence à l’Arme ou l’Armée. Dans le langage militaire, le mot « arme » désigne la Terre, l’Air, la Marine, ou encore la cavalerie, l’infanterie ou la gendarmerie.

    L’AFAT constituerait-elle donc une arme à part entière ? Il est avéré que ce n’est pas le cas puisque toutes les femmes de l’AFAT sont disséminées dans toutes les armes or, autre incohérence, le « T » désigne pourtant l’Armée de « Terre ». De plus, le terme d’« AFAT » est aussi fréquemment substantivé : employé au singulier ou au pluriel, l’acronyme AFAT devient le terme générique employé pour toute femme engagée dans l’Armée. Ainsi, quand De Lattre rend hommage à ces femmes, il parle « des AFAT ».

    Le Corps Féminin des Volontaires Françaises est plus souvent appelé « Corps féminin » et cette appellation suscite bien souvent des railleries de la part des hommes à cause du double sens du mot « corps » qui renvoie à la fois à une unité militaire mais aussi au corps des femmes, objet de fantasmes et de remarques obscènes dans les rangs masculins.

    Cette ambiguïté d’appellation des femmes engagées dans l’Armée Française perdure bien au-delà de la Deuxième Guerre Mondiale et les décrets précisant les termes à emloyer seront nombreux par la suite.

    Quoi qu’il en soit, aucune de ces femmes ne se définit jamais comme « auxiliaire » ou « subalterne » même si elles gardent toujours à l’esprit la raison pour laquelle elles ont été « acceptées » dans l’Armée. Elles se voient toujours comme des militaires à part entière dont la tâche est complémentaire de celle des hommes mais jamais secondaire.

    Quant à la féminisation des termes, si le langage militaire officiel ne la pratique pas, et si Hélène Terré ne féminise pas sa fonction et ne se désigne ni comme « directrice » ni comme « chargée » de mission, il est fréquent d’en trouver trace dans les archives ou les témoignages.

    Ainsi, le mot « lieutenante » ou « commandante » est facilement employé par les femmes entre elles sans aucune connotation péjorative. En revanche, utilisé par les hommes, il est souvent dédaigneux.

    L’usage du masculin étant officiellement de rigueur, les notes de service d’Hélène Terré ne font pas exception. Finalement, la féminisation de l’Armée semble poser aux autorités militaires une difficulté visible dans presque tous les textes et notes de service. Dans une note de service du 6 novembre 1942, on peut lire « sous-officiers et hommes de troupes féminins » ; tandis que les termes « conductrices », « ambulancières », « cuisinières » ou « infirmières » ne posent apparemment pas problème quant à leur genre grammatical alors que le champ lexical de l’Armée et du combat n’est que très rarement féminisé. Pourtant, après la guerre, à l’heure des hommages et du souvenir, certains courriers et notes de service font parfois apparaître une féminisation de certains termes jusqu’alors « intouchables » comme « la capitaine ». Toujours est-il que ce sont les hommes qui nomment les femmes… et les surnomment.

    •  Micheline FORNACIARI, Les femmes dans la Marine Nationale Française de 1942 à 1956. Toulon, AGPM E (...)
    •  C.B., entretien écrit, juin 2006.
    • Mireille HUI, Les merlinettes. Pendant la seconde guerre mondiale (période de 1942 à 1945), Le Pra (...)
    •  Suzanne MASSU, Quand j’étais… Op. cit., p. 102.

    Dans cet esprit, les sobriquets les plus variés mais pas toujours les plus heureux voient le jour avec les premiers engagements féminins. C’est le cas des « Marinettes », surnom donné par les hommes aux premières femmes enrôlées dans la Marine au sein de la 2e DB en 1944.

      

    Dans les Transmissions, le Général Merlin crée en février 1943 le Corps Féminin des Transmissions (CFT) et les transmissionistes deviennent donc – en toute logique – les « Merlinettes ». Ces diminutifs en « -ette » ne sont pas sans en rappeler d’autres : celui des suffragettes par exemple, sans compter qu’ici, il s’agit d’un dérivé de nom propre masculin. Le suffixe « -ette » s’applique ainsi aux termes familiers et/ou réducteurs.

      

    Loin de mettre en avant le rôle des femmes, il les relègue au rang de petites soldates ou petites transmissionistes. Avec le recul, elles sont peu nombreuses à accorder de l’importance à ces diminutifs. Si elles sont d’accord pour reconnaître qu’ils ne sont pas vraiment à leur avantage, elles n’en font que peu de cas. Pour d’autres, il fait tout simplement partie de leur vocabulaire et de leur identité de femme militaire comme pour Mireille Hui ou Paulette Vuillaume, toutes deux transmissionistes.

     

      

    Ambulance "Pop" à Saïgon en 1946
     

    Quant à Suzanne Torrès, elle considère volontiers que le surnom de « Rochambelles » que les hommes de la 2e DB leur ont attribué est « affectueux ». Affectueux, certes, mais non officiel puisque les archives relatives aux ambulancières de la 2e DB les nomment « Groupe Rochambeau ».

    •  Décret n° 51-1197 du 15 octobre 1951.

    Une succession de textes législatifs entre 1940 et 1951 concernant les femmes militaires révèle une certaine incapacité à les intégrer, la date de leur assimilation dans l’Armée française étant chaque fois repoussée. L’AFAT est devenue en 1946 le service du Personnel Féminin de l’Armée de Terre (PFAT). Ceci confirme que l’organisation de 1944 n’était pas militaire, au sens strict du mot, et que l’AFAT ne faisait pas partie intégrante de l’Armée, même si tout son fonctionnement était calqué sur elle.

      

    La loi du 31 décembre 1948 insiste sur le fait que les services accomplis par les AFAT pendant la Deuxième Guerre mondiale étaient des « services civils auxiliaires. » Il semble donc que l’Armée, par ses lois et par la distinction très nette entre auxiliaires et militaires de carrière, se soit ainsi protégée d’une installation définitive des femmes dans ses rangs. Enfin, il faut attendre le décret du 15 octobre 1951 pour que soit affirmé le fait que « les services accomplis dans les corps militaires féminins créés depuis juin 1940 sont des services militaires à tous points de vue ».

      

    En revanche, même s’il subsiste des distinctions de grades entre hommes et femmes, il n’existe aucune différence de traitement face à la justice et aux peines encourues. Les personnels militaires féminins dépendent comme les hommes des tribunaux militaires ou maritimes.

    Bien que la présence de ces femmes semble poser problème sur les plans de la législation et de la terminologie, une reconnaissance progressive « pour services rendus » se met en place tant bien que mal, et un intérêt nouveau pour ces soldates sans armes voit le jour.

      

     

    En Normandie, Edith Vezy et le Lieutenant Bernard de Lamotte

      

    Les lendemains de guerre : une difficile reconnaissance

    • Luc CAPDEVILA, « Le mythe du guerrier et la construction sociale d’un « éternel masculin » après l (...)

    La reconnaissance de ces femmes par leurs « frères d’armes » se fait attendre. Elle n’est pas immédiate et se fait souvent bien après la guerre, rarement pendant. Comme lors de la Première Guerre Mondiale, les lendemains de guerre apparaissent comme un moment de reconstruction de l'identité masculine par le refoulement des femmes. Cette reconstruction repose sur l'appropriation exclusive de la figure du combattant et du guerrier.

      

    Les hommages rendus aux femmes sont donc rarement officiels et visibles. On les trouve dans des notes de service, dans des courriers ou dans des autobiographies de militaires ou de femmes rapportant leurs propos. Les généraux de Gaulle, Leclerc, ou de Lattre de Tassigny ne manquent jamais de mentionner les femmes après-coup. De Lattre, le 18 février 1946, souligne qu’elles « ont accompli leur devoir avec un dévouement, une générosité et souvent un courage qui méritent le respect ». Il termine son éloge ainsi :

    •  SHAT, 7 P 73-1 : Note du Général d’Armée de Lattre de Tassigny du 18 février 1946 : « Ordre du jou (...)

    « Sans doute y avait-il dans leur intervention parmi les forces armées une initiative trop neuve pour qu’elle ait été sans défaut et pour que l’esprit français n’en ait parfois éprouvé quelque surprise. Mais la justice demande que certaines critiques faciles ne fassent pas oublier des réalités qui font honneur aux femmes de France. Celles qui les ont vécues ont le droit d’en garder la fierté. Demain, le souvenir des cinquante-trois AFAT qui ont donné leurs vies au cours de nos combats victorieux inspirera, j’en suis sûre, les quatre mille Françaises choisies pour servir sous l’uniforme des Personnels Féminins de notre Armée Nouvelle ».

    Quand le corps des PFAT est créé le 1er février 1946 en remplacement des AFAT, ses premiers effectifs sont fixés à quatre mille. Les paroles de de Lattre sont intéressantes car en peu de lignes, il évoque les préjugés, les réticences des autorités militaires face à l’engagement féminin, les soldates mortes pour la France, et la naissance de ce nouveau « corps féminin » qui marque la reconnaissance officielle en temps de paix de l’incorporation de personnels féminins dans l’Armée Française. Ces femmes passent donc du statut d’auxiliaires à celui de personnels militaires de l’Armée.

    • 45 SHAT, 7 P 31-1 : Edmond Michelet, ordre du jour du 28 février 1946.
    • 46 Madeleine BOUE LAHORGUE, entretien du 27 mars 2006.

    Le 28 février 1946, Edmond Michelet, Ministre des Armées du gouvernement de Gaulle, s’incline « avec respect devant celles […] qui sont restées sur les champs de bataille, devant celles qui ont trouvé la mort dans les maquis » et il « exprime à toutes celles qui rentrent dans la vie civile, la reconnaissance du pays pour les indiscutables services qu’elles lui ont rendus ».

      

    A droite, Rosette Peschaud

      

    Justement, « celles qui retournent à la vie civile », doivent affronter un obstacle majeur : la rémunération. Les archives débordent de demandes de régularisation et de paiement de soldes ou de retraites. Les femmes démobilisées patientent parfois jusqu’à cinq ans avant de toucher leur première solde. Enfin, concernant les « grades », une nouvelle injustice vient frapper les femmes. Celles qui s’engagent en Indochine, immédiatement après la Deuxième Guerre Mondiale, se voient « rétrogradées » car aucune disposition n’a été prise pour toutes celles qui sont retournées temporairement à la vie civile et qui décident de partir pour l’Indochine, passant ainsi du statut d’AFAT, devenu obsolète, à celui de PFAT. En bref, le « grade » atteint dans l’armée de Libération n’a aucune valeur juridique pour celles qui « rempilent » en Indochine.

    •  Rosette PESCHAUD, entretien du 6 avril 2006.

    Le général Leclerc, on l’a vu, était plus que réticent à l’idée d’incorporer des femmes dans sa division. Mais face à leur détermination et à leur courage, il admet qu’elles sont indispensables au bon déroulement des opérations et au moral des troupes. Elles sont d’ailleurs souvent comparées à des sœurs ou à des mères bienveillantes quand elles prodiguent les premiers soins.

      

    La voix féminine rime avec douceur et chaleur dans les affres du combat.

      

    Malgré cela, il ne faut pas oublier que les autorités militaires ont avant tout subi cette intrusion féminine. Dans le contexte d’euphorie de l’immédiat après Deuxième Guerre Mondiale, cette reconnaissance bien qu’officieuse semble donc assez logique.

    Aux lendemains de la guerre, l’image de LA femme soldat soulève aussi de nouvelles questions et un intérêt qui n’est pas moindre. Car, même si l’engagement des femmes n’est pas approuvé de tous, il tend à être connu de tous. Pour certains, ces femmes deviennent l’objet de questionnements et d’études.

    •  Yvonne-Hélène TAILLEFER, Essai de psycho-pathologie féminine dans l’armée. Paris, Imprimerie Mauri (...)
    • Ibid., p. 92.
    •  Tereska TORRES, Women’s Barracks. New York, Dell Publishing, 1968, 158 p.
    •  ––––, Une Française libre. Journal 1939-1945, Paris, Phébus, 2000, 301 p.
    •  Yvonne-Hélène TAILLEFER, Essai de psycho-pathologieOp. cit., p. 92-93. Ses conclusions sont sans (...)
    •  Tereska TORRES, entretien du 4 avril 2005.

    Ainsi, le 27 février 1947, la thèse de Médecine que soutient Yvonne-Hélène Taillefer a pour titre : Essai de psycho-pathologie féminine dans l’armée.

    Elle fonde ses résultats sur des enquêtes qu’elle a réalisées au Val de Grâce. Elle relève quatre types de pathologies sévères chez les AFAT : le déséquilibre instable, pervers, l’hystérie, la mythomanie. Dans les déséquilibres pervers sont classées les « toxicomanies » et les « perversions sexuelles. » Elle souligne que le lesbianisme et la nymphomanie sont deux problèmes qui n’ont « pas tardé à préoccuper le commandement féminin » pendant la guerre.

      

    Pourtant, ni l’historiographie ni aucune autobiographie ne fait mention de ces troubles qui seraient plus répandus chez les soldates que dans l’ensemble de la population féminine. Un seul ouvrage place le lesbianisme militaire au cœur de son intrigue. Il s’agit du roman de Tereska Torrès, Women’s Barracks, publié plus de vingt ans après la guerre.

      

    Elle-même Volontaire Féminine à Londres, est déjà l’auteure d’un journal de guerre. Toutefois, la prudence est de rigueur car Tereska Torrès soutient qu’il s’agit là de pure fiction et que c’est pour cette raison majeure qu’elle a refusé de le publier en France.

      

    Elle affirme également que dans sa caserne, deux ou trois femmes étaient lesbiennes et qu’elle craignait pour la réputation des Volontaires Féminines si un tel ouvrage était publié en France, vingt ans après la guerre. De plus, contrairement à ce que soutient Yvonne-Hélène Taillefer, Tereska Torrès affirme que ces quelques lesbiennes n’ont « jamais essayé de séduire celles qui ne l’étaient pas […] et cela ne devait pas être jugé si épouvantable que ça puisqu’on a nommé l’une d’elles adjudante ».

      

    Quoi qu’il en soit, la question du lesbianisme militaire demeure un champ de recherche inexploité.

    Seul un cercle d’initiés dans l’immédiat après-guerre semble reconnaître un certain mérite aux femmes militaires. Et, en dépit de leurs exploits ou de leur dévouement, l’idée la plus répandue dans la France d’après-guerre est que la place des femmes, même en temps de guerre, est au foyer :

    •  SHAT, 7 P 73-1 : Gilda Sinon, déléguée des mouvements féminins, Jean Fontensau, président du Conse (...)

    « Les femmes comme les hommes, mais à leur place, ont à se mettre au service du pays. La participation à l’effort de guerre entraîne des bouleversements profonds mettant en jeu la dignité et la mission de la femme, le moral des soldats, la conduite de la guerre et l’Avenir du Pays. […] Même en temps de guerre, le rôle primordial de la femme est au foyer »

    •  Luc CAPDEVILA, « La mobilisation des femmes dans la France combattante (1940-1945) », art. cit., (...)
    •  Gil MIHAELY, « L'effacement de la cantinière ou la virilisation de l'armée française au XIXe siècl (...)
    •  Katia SORIN, op. cit. p. 16.

    Entre 1944 et 1945, les rumeurs vont bon train concernant les « femmes-soldats » qui sont souvent vues comme des « femmes au service des soldats » même si les femmes de la Résistance extérieure ne sont pas les premières à essuyer de telles critiques. En effet, l’une des plus anciennes critique faite aux femmes proches des milieux militaires concerne leur morale et leur comportement sexuel.

    Plus généralement, à l’aube des années 1950, les femmes sont souvent vues comme des éléments perturbateurs pour l’institution « Armée » mais aussi pour « ses hommes ».

    Dix ans après la Deuxième Guerre Mondiale, certains militaires n’hésitent pas à qualifier LA femme soldat d’être « hybride » et « asexué » :

    •  Q.M WATTEL, Cherbourg, « Réponse à Yvette », Bellone, n° 43, juillet-août 1957, p. 30.

    « Jamais la femme ne sera l’égale de l’homme dans ce métier [...] Si ces femmes sont souvent considérées avec « dédain » ou « condescendance », c’est souvent, il faut le dire, avec juste raison [...] La femme-soldat est un être hybride et asexué bien loin de l’ange au foyer [...] Le plus beau rôle de la femme n’est-il pas celui d’être épouse et mère [...] Restez à votre place et laissez le métier des armes à vos fils et à vos maris ».

    •  Pierre LAROUSSE, Grand Dictionnaire du XIXe siècle, tome 3, 1867, Paris, Genève, p. 290, cité par (...)
    •  Gil MIHAELY, ibid.
    •  Hélène DEUTSCH, La psychologie des femmes. Etude psychanalytique, tome 1 : Enfance et adolescence, (...)
    •  Michelle ZANCARINI-FOURNEL (coord.), Les mots de l’Histoire des femmes, Toulouse, Presses Universi (...)
    •  Ed. DE LA BARRE DUPARCQ, Histoire militaire des femmes, Paris, aux frais de l’auteur, 1873, p. 304 (...)

    Ces propos s’inscrivent dans une logique déjà ancienne de « virilisation » des femmes par des hommes qui se représentent difficilement des femmes aux armées. Ainsi en 1867, Pierre Larousse donne une définition révélatrice des ambiguïtés sexuées de ces femmes. Selon lui, « La cantinière [...] appartient à un sexe intermédiaire, à quelque chose d’androgyne, beaucoup plus rapproché du sexe fort que du sexe faible ».

      

    Michette Duhamel et Anne-Marie Davion

      

    Toutes les femmes qui endossent l’uniforme français sont en quelques sortes les héritières de la cantinière, cette figure emblématique des femmes militaires du XIXe siècle. Pour Pierre Larousse, l’expression « femme militaire » est suffisamment étrange pour qu’il parle d’un troisième sexe.

    Cette « virilisation » se retrouve aussi dans les écrits d’Hélène Deutsch qui voit dans l’engagement féminin « la satisfaction d’un complexe de virilité, par identification avec l’homme ».

    Cette virilisation est presque toujours perçue comme négative sauf chez quelques féministes radicales, telles Madeleine Pelletier qui se revendique comme la théoricienne – certes très controversée – de la virilisation des femmes.

    Cette virilisation du féminin est donc toujours fortement critiquée car elle serait la cause d’un « amollissement » des hommes qui dénigreraient leur rôle « naturel ».

    • Martin VAN CREVELD, Les femmes et la guerre, Monaco, Editions du Rocher, 2002,4e de couverture.
    •  John KEEGAN, Histoire de la guerre, du Néolithique à la guerre du Golfe, Paris, Dagorno, 1996, p. (...)
    •  Nombreux sont les témoignages, les enquêtes et les études sur le sujet qui permettent une telle af (...)
    •  Elodie JAUNEAU, Quand les femmes deviennent soldats. A l’origine de nouveaux rapports de genre dan (...)
    •  Jeanne BOHEC, La plastiqueuse… Op. cit., préface.

    Pour une femme, vouloir être soldat, c’est vouloir la guerre et cela ne se peut car toutes les femmes sont pacifistes « de nature ». Cette idée prédomine pendant toute la première moitié du XXe siècle et aujourd’hui encore, certains scientifiques pensent que la guerre n’est pas l’affaire des femmes, voire que leur enrôlement engendre un déclin inéluctable de l’Armée : « C’est le déclin de l’organisation militaire qui a entraîné le recrutement des femmes, et le recrutement des femmes accélère le déclin de ces armées ».

      

    D’autres vont même jusqu’à affirmer que les femmes ne se sentent que peu ou pas concernées par la guerre : « La guerre est la seule activité humaine vis-à-vis de laquelle les femmes, à d’infimes exceptions près, ont préféré toujours et partout garder leurs distances ».

      

    Certes, mais c’est sans compter avec les oppositions fermes et intransigeantes des autorités qui ont toujours exclu les femmes de la sphère combattante. Il est en effet avéré que si celle-ci leur avait été ouverte plus tôt, beaucoup plus nombreuses auraient été les militaires féminines, non pas parce que les femmes sont bellicistes ou militaristes, mais parce que comme les hommes, certaines aspirent à cet engagement, par vocation ou par patriotisme.

      

    Or ce patriotisme féminin, dans l’imaginaire masculin dominant, ne doit se manifester que par un soutien moral aux soldats. Ainsi, les femmes, en gardiennes du foyer, doivent avant tout être des mères et des épouses capables d’assurer dignement le repos du guerrier à son retour du front. L’idée qu’une femme puisse guerroyer, se battre ou participer activement à un conflit, tout en remplissant son rôle « naturel » est inconcevable.

      

    Suzanne Torrès et Lucie Delplancke

     

    En l’absence des hommes, elles deviennent les garantes de la stabilité familiale et sociale à l’arrière et non au front. En revanche, en 1975, Jacques Chaban-Delmas précise dans la préface de l’ouvrage de Jeanne Bohec que celle-ci « apporte la preuve éclatante que les femmes sont fort capables d’atteindre un degré de courage, de détermination et d’efficacité accessible à peu d’hommes ».

    Finalement, bien des années après la Deuxième Guerre mondiale, la réhabilitation des femmes combattantes dans la mémoire collective reste à faire. L’idée qu’une femme puisse faire partie de l’ensemble des soldats, au même titre qu’un homme, est loin d’être acquise.

      

    Les combattants de la Libération sont incarnés par des hommes dont les vertus masculines sont exacerbées et les femmes qui ont servi à leurs côtés sont tout simplement oubliées. Même si aujourd’hui les femmes représentent 12 % des effectifs de l’Armée et qu’elles sont envoyées au front, que ce soit dans le Golfe ou en Afghanistan, l’idée qu’une femme en uniforme puisse combattre comme un homme est encore peu admise par l’imaginaire collectif. Chaque année depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les femmes défilent aux côtés des hommes, le 14 juillet.

      

    Ces défilés de femmes, retransmis en direct sur toutes les chaînes de télévision françaises sont également l’occasion de commentaires portant sur la longueur de leurs jupes, la qualité de leur maquillage, ou la rigueur de leur pas cadencé. Si l’Armée a donc pleinement incorporé les femmes dans ses rangs, c’est dans les mentalités que cette incorporation semble difficile.

     

     

     

      

      

     

      

    Conclusion

    • Jean-Louis CREMIEUX-BRILHAC, Ici Londres. Les voix de la Liberté 1940-1944, Paris, La Documentatio (...)
    • Théroigne de MERICOURT, Discours prononcé à la Société fraternelle des minimes, le 25 mars 1792, P (...)
    • Jacques SARRAZ-BONNET, Contribution à l’étude… Op. cit., p. 15.

    Le 16 décembre 1943, Maurice Schuman déclare à la BBC : « Dans la dernière guerre [1914-1918, ndla], la femme a donné des centaines d’héroïnes à la liberté, pour la première fois dans cette guerre [1939-1945 ndla], elle lui a donné des centaines de milliers de combattantes ».

      

    Certes, elles ne sont pas des centaines de milliers comme l’affirme le porte-parole de la Résistance extérieure, mais elles sont suffisamment nombreuses pour être évoquées. Elles ne sont pas non plus des combattantes armées, mais elles ont tout de même lutté pour leur patrie au même titre que les hommes en armes. Cette question des femmes en armes a été maintes fois soulevée à toutes les époques. Mais c’est au XIXe siècle, après que les femmes se soient mobilisées dans les armées révolutionnaires, que cette question devient plus vive, notamment dans les mouvements féministes naissants.

      

    En 1792, Théroigne de Méricourt dans son discours aux citoyennes du Faubourg Saint-Antoine, déclarait : « Citoyennes, pourquoi n’entrerions-nous pas en concurrence avec les hommes ? Prétendent-ils eux-seuls avoir des droits à la gloire ?… […] Nous aussi, nous voulons briguer une couronne civique et briguer l’honneur de mourir pour une liberté qui nous est peut-être plus chère qu’à eux ».

      

    A cette question, il a fallu un siècle et demi pour qu’une réponse soit donnée. Mais cette réponse reste incomplète. Car, aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, nombreux sont ceux qui pensent encore que l’entrée des femmes dans l’Armée doit rester limitée à ce qu’en langage d’état-major on appelle les « services », les femmes étant toujours exclues des unités combattantes

      

     exception faite des Rochambelles, et de l’ensemble des ambulancières des différentes divisions de la France Libre, qui font partie intégrante de ces unités… mais sans armes et sans combattre.

    •  Les effectifs féminins de l’Armée de Terre passent de plus de dix mille à trois mille huit cents à (...)
    •  Luc CAPDEVILA, François ROUQUET, Fabrice VIRGILI et Danièle VOLDMAN, Hommes et Femmes dans la Fran (...)
    •  Rosette PESCHAUD, entretien du 6 avril 2006.

    Entre 1945 et 1946, bien que la fin de la guerre engendre une démobilisation massive des femmes, l’idée qu’elles puissent être reconnues comme des militaires à part entière commence à naître dans les esprits des autorités militaires et politiques.

      

     
    Ambulance "La Baraka" - Paule et Madeleine

      

    La mobilisation des femmes dans les réseaux de résistance et dans l’Armée est à l’origine d’une reconnaissance progressive de leur place dans la sphère militaire. Pourtant, le devoir de mémoire auquel s’attache la France depuis la fin de cette guerre n’est que partiellement accompli puisque les femmes sont sous-représentées aussi bien dans les cérémonies commémoratives que dans les associations d’anciens combattants. Quant aux récompenses, si les femmes ont presque toutes obtenu la médaille militaire, elles ne sont que « six Compagnes de la Libération seulement sur mille cinquante neuf Compagnons. 10 % de femmes parmi les médaillés de la Résistance ou les détenteurs de la carte de combattant volontaire ».

      

    A noter aussi que parmi ces six Compagnes de la Libération figurent deux Volontaires de la France Libre. La première, Laure Diebold, engagée dans les FFL, immatriculée au BCRA, devient la secrétaire de Jean Moulin en 1942. Quant à Marie Hackin, engagée le 26 décembre 1940, elle a participé à l’organisation du CVF avec le « grade » de sous-lieutenant et meurt en service commandé, avec son époux, le 20 février 1941 après le torpillage du cargo qui les transporte. Elle est faite Compagne de la Libération par décret du 13 mai 1941 et reçoit la Légion d’Honneur à titre posthume. Elles sont très nombreuses à avoir obtenu la Légion d’Honneur, mais souvent tardivement.

    C’est ainsi qu’en 1977, avant de mourir, Suzanne Massu demande à Rosette Peschaud de faire en sorte que toutes les Rochambelles sans exception, y compris celles qui ont perdu la vie pendant ou après la guerre, obtiennent cette distinction. Ce sera chose faite, mais plus de trente ans après les faits.

    •  Luc CAPDEVILA, « Le mythe du guerrier … », art.. cit., p. 616.

    La mémoire collective apparaît donc essentiellement comme une « mémoire masculine » bien que les femmes militaires, peu considérées par leurs contemporains aux lendemains de la Deuxième Guerre Mondiale aient été les pionnières de la féminisation de l’Armée Française. Néanmoins, leur présence inévitable dans des sources de toutes sortes contribue progressivement à une féminisation de la mémoire. En 1970, Hélène Terré écrivait :

    •  Hélène TERRE, « Les volontaires françaises à Londres », Revue de la France Libre, n° 187, août-sep (...)

    « On a peu parlé des Volontaires Françaises de la France Libre – la France Combattante – sans doute pour plusieurs raisons dont la principale pourrait être que le Corps des Volontaires Françaises était partie intégrante de l’armée et que nous autres, femmes, servions au même titre que les hommes ; il n’y avait donc pas lieu de nous traiter à part. Aussi, il faut bien le dire, les Volontaires Françaises avaient le souci de rester modestes afin que leur présence dans l’armée ne fût jamais contestée. […] Elles ont joyeusement revendiqué leur part d’héroïsme et la mort ne les a pas épargnées ».

    •  Les monuments aux « mortes pour la France » sont si peu nombreux qu’il convient de mentionner, à t (...)

    Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce souci de modestie « naturellement féminine »… Sans doute les autorités militaires n’étaient-elles tout simplement pas prêtes, aux lendemains de la guerre, à hisser au rang de héros des héroïnes, à leur accorder la couronne civique et à célébrer leur mémoire au pied de monuments qui ne portent pas même leurs noms.

     

     

    A partir de la gauche : Plumeau et Crapette avec les petites soeurs de Mitho - Saïgon

      

      

    Référence électronique

    Elodie Jauneau, « Des femmes dans la France combattante pendant la Deuxième Guerre mondiale : Le Corps des Volontaires Françaises et le Groupe Rochambeau », Genre & Histoire [En ligne], 3 | Automne 2008, mis en ligne le 02 janvier 2009, consulté le 24 novembre 2012. URL : http://genrehistoire.revues.org/373

     

     

     

     

    Photographies -

     http://www.marinettes-et-rochambelles.com/pages/photosR.htm

     

     

     

     

     

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