• EDMOND, 16 ans...en 44

     

     

    SCELLES Edmond :

    en 44, âgé de 16 ans, résidant à La Ferme du Prieuré à Saint Laurent / Mer

     

    "c'est là que ça a commencé..." "Déjà, le dimanche 4 juin, on était en communion à Formigny invité chez des amis et les américains ou les anglais sont allés bombarder le sémaphore d"Englesqueville ; c'était dans l'aprés midi, on était dans l'église, c'était les vêpres, donc on devait faire la procession au cimetière ; on n' est pas sorti de l'église, le curé nous a fait chanter des cantiques, mais c'est là que ça a commencé...

    "les allemands n'ont pas couché " Puis, il y a eu une alerte le 5 au soir ; à la ferme du Prieuré où on était (mes parents étaient fermiers de Monsieur Carteret, propriétaire ) les allemands n'ont pas couché. Ils avaient réquisitionné tout le haut et logeaient à 40, mes parents avaient le bas : 2 pièces et la grande cuisine ; moi, je couchais dans l'écurie. C'est toujours resté tel quel aujourd'hui, tous les bâtiments comme en 40 ! Mais comme chaque année, il y avait des grandes maneuvres,on n'a pas fait de cas ! "les fils étaient coupés "

    Le 6 juin, à 5 h du matin, alors là, la cannonade ! On se demandait ce que c'était. On pensait pas au débarquement. Peut-être un coup de main comme en 42, qu'on vient de faire. Ca canardait tout le long de la falaise. Ca tonnait.. Ca tonnait fort.

    Ca faisait du bruit ! On s'est levé vers les 7 heures, on est parti voir aux bestioles : les vaches pour les traire ; et y'avait déjà des parachutistes qui avaient du venir car les fils téléphoniques allemands qu'il y ' avait sous terre étaient coupés, j'en suis formel ! Y ' avait une tranchée qui était faite sur 40 cm et ça avait été coupé derrière la ferme : le gros cable et le petit cable étaient coupés.

    Y'avait eu des infiltrations d'américains ? Peut -être quelques uns de parachutés auprès de la rivière l'Aure, je crois, je ne sais pas .

    "les tommies, les tommies" On avait à moitié peur, ça canardait toujours en bas ! On est rentré à la ferme.

    Les allemands, on les voyait pas, ils étaient planqués .Y'en avait un à la maison qui gardait, il s'appelait "Pétain". Ca faisait un moment qu'il était là, on l'avait déjà vu. J'ai dit : " Qu'est ce que c'est ? " Il me dit " Non les grandes maneuvres ...! les tommies , les tommies... !

    Et par le jardin on voit trés bien la mer ; j'ai été voir avec lui et puis aprés j'ai appelé mon père : C'est là qu'on a vu qui y'avait tous ces bateaux sur la mer et tout ça ! On a dit qu'est ce qui va se passer ? Y'avait pu qu' à attendre ... Ca tapait .

    Tout d'un seul coup, y'a des obus qui ont commencé à tomber tout près, à arriver et puis y'avait des fusillades qui se passaient : mais on voyait toujours rien.

      

    Les allemands qui couraient, un char allemand qui est venu, qui a pris des mines ( y'avait un dépôt de mines à la ferme ) Il est parti je sais pas où. J'en n' ai rien vu Ca tombait partout, on n'avait pas de tranchées, rien, on était à la maison pour se mettre à l'abri, on n' avait pas prévu !

    "trois prisonniers américains " Quand les obus sont tombés vers environ 9 / 10 heures, deux obus dans le corps de bâtiment, c'est là qu'on est parti ! Là on est sorti et là y'avait déjà trois prisonniers américains, c'est à dire sur le coup on savait pas ce que c'était , c'est aprés qu'on a su qu'ils avaient été fait prisonniers par les allemands ; ils étaient noirs, mais en réalité c'était la figure barbouillée de noir car ils avaient les mains blanches ...Y avait eu des infiltrations.

    Ils étaient assis sur leur casque ; ils étaient là ils attendaient, pas blessés, un allemand les gardait à l'entrée de la ferme. Ils les ont emmenés à travers champs, où ? Je ne sais pas.

    "Ca va durer que quelques heures " Alors là, on a dit, on va pas rester à la maison, y'a deux obus qui sont retombés prés de la maison. Alors on a dit y faut s'en aller. On est allé se mettre dans un abri allemand où qu'y avait encore de l'eau . On est resté un moment là Y'a eu une petite accalmie, là, le matin vers les 10 heures, hop, on a repris la route de Formigny vers chez des amis. On a rencontré un officier allemand qui a dit : "Vous faites bien de partir mais ça durera que quelques heures seulement ! " Donc ils croyaient bien les remettre à l'eau, ils en avaient une nette impression, certainement pour eux ils attendaient du renfort de Trévières comme il y avait eu des grandes maneuvres avec les troupes qui étaient reparties , mais nous autres, les civils on ne s'occupait pas de ça, y'avait le couvre feu, on n' avait pas le droit d'aller à la plage , c'était fermé pour nous ; la limite : c'était la poste de St Laurent. On n' allait pas plus bas. C'était interdit. Y avait des grands murs en béton en bas ( au niveau de la villa Perrin , actuelle ) où y'avait des barrières de la ligne Maginot ramenées de Belgique , qu'ils fermaient tous les soirs. Tout était barricadé. Y'avait plus bas un fossé antichar. On pouvait pas passer. D'ailleurs les américains n'ont pas pu passer, il fallait faire sauter tout ça ; parce que il y avait les mêmes murs à Vierville et St Laurent et même sur la route de Vierville, à la sortie de St Laurent. Alors , on se disait si on pouvait être libéré !, retrouver la liberté ! mais avec tous ces travaux allemands ! et pourtant y'avait des blockhaus inachevés ! ah, si tout avait été construit ? Y'avait 2 blockhaus en construction, en bas, et d'autres derrière la villa des Moulins Les allemands avaient détruit toutes les maisons sur le bord de la plage ,les allemands avaient réquisitionné les français pour les détruire ! Avant, c'était joli ! Y'avait qu'une seule maison qu'est restée sur le milieu, à côté de la plage. Elle était minée ; ils l'avaient gardée, les allemands, je ne sais pas pourquoi, ce sont les américains qui l'ont faite sauter, elle était toute seule.

     

    "On a vu les premiers américains" Vers 11 heures et demie, on est arrivé à Formigny, on est resté avec les amis, on a mangé, on a attendu, on s'est planqué...D'aprés Monsieur Legallois et puis d'autres gens qui étaient là, vers les 2 heures les américains étaient dans le haut du pays, chez nous. Et, nous, on est redescendu, on est revenu, alors, là, ça canardait ! On a vu les premiers américains. Y'en a un qui m'a donné un billet. Je l'ai toujours le dollar ! à mon père, il lui a donné des cigarettes. Ils montaient au front vers Trévières. On est revenu.

    "Y'avait 3 allemands qui ont résisté " Le lendemain matin, le 7 , y'avait encore une résistance d'allemands qui étaient sur la commune de Vierville mais à côté de St Laurent, derrière chez Monsieur Lemière ( facteur, résistant, fusillé à Caen ) y'avait trois allemands qui ont résisté jusqu'au 9, dans un fossé, ils blessaient les soldats américains. Autrement, y'avait plus rien. Les allemands étaient faits prisonniers, ils les emmenaient au Ruquet, après ils les embarquaient en péniche vers l'Angleterre ou l'Amérique, pour la propagande... Les allemands, c'était des soldats de l'armèe régulière, la Wehrmacht, heureusement, c'était pas des SS. Ils changeaient tous les 3 / 4 mois, souvent ils revenaient du front russe , ils venaient se reposer par là ! ils cherchaient la conversation, ils avaient de la famille , ils étaient là pour obéir, c'était pas des bourreaux ! J'en ai vu pleurer : y devaient aller en Russie...

    "mon premier vrai contact " Mon premier vrai contact avec les américains, pas avec ceux qui passaient, c'est le 8 juin , il est venu s'installer à la ferme un régiment entier d'américains ,ils ont occupé tous les bâtiments et tout installé ! Ils sont restés jusqu'au mois de Décembre; Ils s'occupaient du débarquement des vivres, du matériel, des munitions, y travaillaient par équipes dans le port artificiel de St Laurent . C'était à Vierville que le port a été détruit par la tempête ; à St Laurent le port était différent de Vierville .Y'avait plein de bateaux coulés, des libertys, des caissons en ciment ; y'avait une route faite sur des ponts flottants, des caissons accolés ; les gros bateaux étaient déchargés par les LCT . Y'avait les amphibies, les canards, les ducks : ils faisaient la navette sans arrêt ! Les américains sympathisaient avec les gens ;j'allais avec eux au rassemblement Dès fois y'en avait un qui me prenait. C'était leur quinzaine ; ils passaient pour toucher leurs petits billets tricolores, l'argent français ; c'était leur paye qu'un capitaine leur distribuait, moi j'étais dans les rangs et je touchais le tabac et les cigarettes. Les américains m'ont pris ma paire de sabots et m'ont amené au magasin de ravitaillement pour me donner une paire de godasses ; mes sabots sont partis en Amérique !

    "l'infirmerie, impensable..." Le premier camp d'aviation qui a existé, c'est à St Laurent, sur la campagne, sur le plateau, mais c'était pas pour bombarder, c'était pour les vivres ; le ravitaillement, les médicaments et pour ramener les blessés qui étaient transportables en Angleterre . D'ailleurs, Mr Etasse de St Laurent blessé par un éclat d'obus a été transporté . Et la plus grande infirmerie , hôpital de campagne était dans le "Grand pré " de St Laurent, là, iln'y avait que des tentes d'un bout à l'autre.Tous les soirs, ils montaient les "saucisses" pour éviter ls avions allemands. Ils soignaient tout le monde ,les civils, les allemands. Moi et Monsieur Dubost on a été soigné à St Laurent. Quand je suis rentré dans cet hôpital, je me rappellerai toute ma vie ,du monde, qu'il y avait sous les tentes , impensable, voir tous ces gens là, installés ; les docteurs, impensable ! Et, on avait découvert le médicament miracle , la pénicilline ! ils nous soignaient avec çà, cette petite poudre, une grande découverte qu'on ne connaissait pas ! Moi, ça me reste cet hôpital là! Et quand on pense aux 3000 morts américains de Vierville /St Laurent ! J'en ai vu des macchabées, allemands ou américains. C'était les noirs américains qui les transportaient : l'un par la tête, l'un par les jambes, l'autre par le milieu. Ils ont fait un premier cimetière, puis après ils les ont montés là-haut dans une fosse commune. Après, ils les ont relevés, chacun une sépulture.

    "On avait jamais vu autant de matériel On était bien vers le 8 quand on a dit : Ca y'est, on est libéré. Ils étaient partis plus loin. On n' avait jamais vu autant de matériel ! Ils ont mis des pièces de défense antiaériennes ; inimaginable, ça faisait du boucan ! mais ils ne tiraient pas, y"a eu que deux fois des avions à venir. Les camions n'étaient pas bachés, ils avaient une tourelle avec une mitrailleuse 12/7. Et les allemands n'avaient pas d'aviation ( 2 avions à Carpiquet ? c'est tout ) Ici ils avaient des chevaux, des vélos, une simca 5 utilisée par le docteur, et une estafette qui venait porter le matériel. Autrement ils avaient rien ! Les allemands allaient à vélo, des colonnes de vélos ! avec des chariots à 4 roues. Pas de véhicules : y'avait pas d'essence . Y devaient garder l'essence pour la grande armée, les panzers . Les régiments d'ici bougeaient pas, y'avait pas besoin . Les allemands avec qui j'ai discuté pensaient que c'était pas possible le débarquement ici .Y pouvait y avoir des hommes pour faire un coup de main , mais pas un grand débarquement ! le matériel, il lui fallait un port ! Nous quand on a vu le 7 juin les jeeps qui passaient partout , on s'est dit : "C'est quoi ? des chars ? des voitures à 4 roues motrices ! " On ne connaissait pas , on n'avait jamais vu ! On était resté à nos vieux véhicules ! Comme les radios qu'ils utilisaient ! comme le nombre de bateaux ! Y'en avait du matériel ! Le 7 y'avait des bulldozers qui comblaient les fossés antichars, le 8 on faisait des routes du bord de mer ,à travers champ vers Formigny.

    Une entreprise, Van Loo, a acheté les épaves de Cherbourg à Port pour récupérer la ferraille. On était 200 à découper, ça a donné du travail pendant des années. On mettait la ferraille à la gare du Molay, puis au port d'Isigny. On faisit 20 à 22 wagons de 20 tonnes de ferrailles, sans compter les LCT et les bateaux qui venaient prendre les gros morceaux de ferraille. "

     

    Interwiew du 21 Avril 1994 à Vierville Recueilli par Pierre Poutaraud et transcrit par Gilles Badufle

      

     

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