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    La rafle du Vélodrome d’Hiver (16-17 juillet 1942),

      

    souvent appelée rafle du Vel’ d’Hiv, est la plus grande arrestation massive de Juifs réalisée en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

      

    En juillet 1942, le régime nazi organise l’opération " Vent Printanier " :

      

    une rafle à grande échelle de Juifs dans plusieurs pays européens.

      

    En France, le régime de Vichy mobilise la police française pour participer à l’opération, sur la demande des autorités d’occupation mais sans leur participation.

    René Bousquet, le secrétaire général de la police nationale, accompagné de

    Louis Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives, rencontre le 4 juillet, au siège de la Gestapo à Paris, les colonel et capitaine SS Knochen et Dannecker, le premier dirigeant la police allemande en France, le second représentant

      

    BOUSQUET  grand ami de MITTERAND

     

      

    Adolf Eichmann (le responsable nazi de la logistique de la " solution finale ") à Paris. Un nouvel entretien, dans les bureaux de Dannecker avenue Foch, afin d’organiser la rafle prévue pour le 13 juillet 1942, se tient le 7 juillet en compagnie de

    Jean Leguay, l’adjoint de Bousquet, accompagné de

    François, directeur de la police générale,

    Hennequin, directeur de la police municipale,

     

    André Tulard, sous-directeur du service des étrangers et des affaires juives à la préfecture de police de Paris de 1940 à 1943 (il avait constitué un ensemble de fichiers des Juifs de la région parisienne : le " fichier Tulard "), Garnier, sous-directeur du ravitaillement à la préfecture de la Seine,

    Guidot, commissaire de police à l’état-major de la police municipale et enfin

    Schweblin, directeur de la police aux questions juives.

      

     

     

    Le capitaine SS Dannecker déclare:

      

    " Les policiers français - malgré quelques scrupules de pure forme - n’auront qu’à exécuter les ordres! ".

      

    La rafle vise les Juifs allemands, autrichiens, polonais, tchèques, russes et les indéterminés, âgés de seize à cinquante ans.

      

    Des dérogations exceptionnelles pour les femmes " dont l’état de grossesse sera très avancé " ou " nourrissant leur bébé au sein " sont prévues, mais " pour éviter toute perte de temps, ce tri ne sera pas fait au domicile mais au premier centre de rassemblement par le commissaire de la voie publique ".

      

      

    Les nazis prévoient de faire arrêter par la police française 22 000 Juifs étrangers dans le Grand Paris, qui seront conduits à Drancy, Compiègne, Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Pour cela, "

    le service de M. Tulard fera parvenir à la Direction de la police municipale les fiches des Juifs à arrêter (...)

      

    Les enfants de moins de quinze ou seize ans seront confiés à l’Union générale des Israélites de France qui à son tour les placera dans des fondations.

      

    Le tri des enfants sera fait dans les centres primaires de rassemblement. "


     

    Le SS Dannecker s’entretient le 10 juillet 1942 avec son supérieur Adolf Eichmann, tandis qu’une nouvelle réunion se tient le même jour au siège du Commissariat général aux questions juives (CGQJ) en compagnie des SS Dannecker, Röthke, Heinrichsohn, et de Jean Leguay, Pierre Gallien, adjoint de Darquier de Pellepoix (chef du CGQJ), quelques cadres de la préfecture de police ainsi que des représentants de la SNCF et de l’Assistance publique.

     


     

    Les instructions du directeur de la police municipale de Paris Emile Hennequin, le 12 juillet 1942, stipulent que "

      

    1. Les gardiens et inspecteurs, après avoir vérifié l’identité des Juifs qu’ils ont mission d’arrêter, n’ont pas à discuter les différentes observations qui peuvent être formulées par eux [...] 2.

      

    Ils n’ont pas à discuter non plus sur l’état de santé. Tout Juif à arrêter doit être conduit au Centre primaire. [...] 7. [...] Les opérations doivent être effectuées avec le maximum de rapidité, sans paroles inutiles et sans aucun commentaire. "

     


    La rumeur circulait depuis quelque temps d’une telle opération parmi la population juive, mais certains pensaient qu’elle ne concernerait que les hommes comme les précédentes, d’autres ne pouvaient pas y croire, la plupart de toutes façons n’avaient

    pas où aller.

     


    Le 13 juillet 1942, la circulaire n°173-42 de la préfecture de police ordonne l’arrestation et le rassemblement de 27 391 Juifs étrangers habitant en France.
    Finalement, un peu de retard est pris.

     

     

      

     

    Les autorités allemandes évitent d’ordonner la rafle pour le 14 juillet, bien que la fête nationale ne soit pas célébrée en zone occupée, ils craignent une réaction de la population civile. Celle-ci a donc lieu le surlendemain soir.

     


    13 152 Juifs sont arrêtés : (dont 4 051 enfants et 5 823 femmes).

      

    Un nombre indéterminé, prévenu par la Résistance ou bénéficiant du manque de zèle de certains policiers, parvient à échapper à la rafle. 4 500 policiers, selon les chiffres généralement retenus, 7 000 selon l’écrivain Maurice Rajsfus ont pris part à l’opération des 16 et 17 juillet.

      

    En outre une cinquantaine d’autobus de la compagnie du métropolitain ont été réquisitionnés avec leurs conducteurs.

     


    Après leur arrestation, une partie des Juifs (les célibataires et les couples sans enfants) ont été conduits directement dans les camps de Drancy, Beaune-la-Rolande et Pithiviers (Loiret), en vue d’une déportation rapide vers Auschwitz.

      

    Une autre partie est envoyée vers le Vélodrome d’hiver (situé dans le XVe arrondissement), qui sert de prison provisoire (cela avait déjà été le cas lors d’une rafle à l’été 1941). Ce sont donc environ 7 000 personnes qui doivent survivre pendant cinq jours, sans nourriture et avec un seul point d’eau.

      

    Les gens, qui n’avaient eu le droit d’emporter que deux bagages dont un de vivres, s’entassaient sur les gradins parmi les pleurs des enfants et les odeurs d’excréments.

      

    Ceux qui tentent de s’enfuir sont tués sur-le-champ. Une centaine de prisonniers se suicident.


    Cette rafle représente à elle seule plus du quart des 42 000 Juifs envoyés de France à Auschwitz en 1942, dont seuls 811 reviendront chez eux après la fin de la guerre. En 1979,

     

    La "Rafle du Vel' d'Hiv": une histoire française

    Jean Leguay, le représentant du secrétaire général de la police nationale en zone occupée, est inculpé pour son implication dans l’organisation de la rafle, mais il meurt avant d’être jugé, en 1993.

     



    Sur les 13 152 juifs raflés, seuls 25 adultes sont revenus. Aucun des 4 051 enfants n’a survécu.


    Cette vague d’arrestations ne fut ni la première, ni la dernière. Mais elle a été la plus massive. Les premières rafles ont eu lieu le 14 mai 1941, les dernières au printemps 1944. En tout, 76 000 juifs de France ont été déportés vers les camps nazis, dont bien peu sont revenus.

     


    Le 16 juillet 1995, le président de la République Jacques Chirac a reconnu devant le monument commémoratif la responsabilité de la France dans la rafle et dans la Shoah.

      

    Il a notamment déclaré :


    " Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’état français.

     


    Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 4 500 policiers et gendarmes français, sous l’autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis.
     

    Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police.
    (...)
    La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. "

     


     

     

     

     

     

     

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    Au bord de l’autoroute, à dix kilomètres de Perpignan, on peut apercevoir, si l’on est attentif, derrière quelques éoliennes, des dizaines (des centaines ?) de baraques en ruine.

    Si on prend la peine de s’en approcher, on voit qu’il s’agit d’un camp, érigé sur une terre aride, où s’emmêlent aujourd’hui ronces et fil de fer barbelé.


    Nous sommes au camp Joffre de Rivesaltes où furent tout d’abord internés les "étrangers indésirables" en application du décret du 12 novembre 1938 (c’était sous la IIIe République, il ne s’agissait pas encore du régime de Vichy !).

      

    Couvrant 615 hectares sur les communes de Rivesaltes et de Salses, à une trentaine de kilomètres de la frontière franco-espagnole du Perthus, il a été construit en 1938, après trois ans d’étude, afin de servir à l’instruction et à l’acclimatation des troupes en provenance d’outre-mer (tirailleurs sénégalais). Sa situation géographique le rend accessible aux navires, le littoral méditerranéen étant proche, et au reste de la France par la gare ferroviaire de Corbières.

      

    La surface bâtie est de 13 hectares environ.

      

    Les baraques, au nombre de 150, sont construites en fibrociment, et les toits recouverts de briques. Le plancher est en ciment et les fenêtres suffisamment grandes pour permettre une aération et un éclairage satisfaisants.


    Le cadre : une plaine aux rudes conditions climatiques, marquée par l’aridité et où sévit fréquemment un vent froid et parfois violent : la tramontane.

      

    L’été règne une chaleur souvent torride.


    C’est pourquoi l’armée a renoncé à son premier projet, l’installation d’écuries, estimant que les caractéristiques du lieu étaient trop extrêmes pour des chevaux. Toutefois, elles vont être jugées suffisantes pour les populations humaines internées ou regroupées ensuite en cet espace.


    Connu avant tout pour son rôle dans la concentration et la déportation des juifs du Sud de la France en 1942, et pour celui joué dans le regroupement des combattants algériens ayant choisi la France après 1962 (les "harkis"), le camp de Rivesaltes a, depuis son origine et jusqu’à l’intégration de l’Espagne dans la Communauté européenne (1986), son histoire liée à celle des citoyens espagnols.



    L’INTERNEMENT DES RÉFUGIÉS ESPAGNOLS


    Les premiers seront les Républicains espagnols, défaits par l’armée franquiste, venus chercher refuge en France, terre d’asile, pays des Droits de l’homme.


    Au début de l’année 1939, un demi million d’hommes, de femmes et d’enfants franchissent les Pyrénées dans des conditions particulièrement difficiles. Une grande partie d’entre eux est d’abord internée sur les plages du Roussillon dans des camps de fortune. Ainsi, ils seront 100 000 sur la plage d’Argelès, cette même plage où tant de touristes séjournent aujourd’hui... Rien - ou si peu - ne rappelle leur présence en ce lieu : tout juste une stèle évoquant la "Retirada" de février 1939, et, un peu plus dans l’intérieur, un petit cimetière, sans tombe indiquée, avec un monument aux morts... Quelques noms ... Gomez ... Lobato ... Montero... Torres... Tudela... Vigara... et, pour finir, ces quelques mots "et tous ceux qui sont demeurés inconnus".

      

    A côté, a été planté en 1999 un arbre à la mémoire des soixante-dix enfants de moins de 10 ans morts dans le camp d’Argelès. En mars, 264 000 Espagnols se serrent dans les camps érigés à la hâte en Roussillon. Il s’agit autant d’accueillir les réfugiés que d’appliquer le décret du 12 novembre 1938 relatif à l’internement des "indésirables étrangers".


    Face à l’engorgement des camps, est envisagé de verser au camp militaire Joffre plus de 15 000 réfugiés catalans.

      

    Cela reste à l’état de projet, néanmoins en 1940 un millier de jeunes Espagnols sont au camp, placés sous l’autorité militaire française au sein de Compagnies de Travailleurs Etrangers.

      

    Les travaux d’aménagement du site sont réalisés dans des conditions épouvantables par des ouvriers espagnols issus des autres camps.

      

    Les premières familles de leurs compatriotes arrivent le 14 janvier 1941. Dès le 31 mai 1941, le "Centre d’hébergement de Rivesaltes", appelé aussi "camp de regroupement familial" compte 6 475 internés de 16 nationalités principales ; plus de la moitié est espagnole, les juifs étrangers représentent plus du tiers.

      

    Composé de 16 îlots comprenant 150 baraques, il possède une capacité d’accueil de 17 à 18 000 personnes. Le camp, de par sa rudesse climatique, n’offre déjà pas lors de son implantation, les structures suffisantes pour permettre aux internés un séjour dans des conditions acceptables. Nommé dès 1940 par la population locale "le Sahara du Midi", il manque autant de végétation, que de ressources sanitaires, alimentaires et humaines.



    DES CONDITIONS DE VIE EFFROYABLES


    En effet, l’administration du camp n’est pas adaptée, le rapport fait par le CICR (Comité International de la Croix-Rouge) en 1941, constate "une impression pénible d’un manque de direction générale" laissant aux subordonnés, une trop grande liberté d’action. Le personnel de surveillance apparaît comme inapte dans une grande majorité, les chefs d’îlots ne se distinguent que par la brutalité et l’amoralité. L’antisémitisme règne parmi les surveillants qui n’hésitent pas à priver les Israélites "des mêmes droits que les internés aryens".


    L’administration du camp déplace les Juifs dans l’îlot K, prétextant qu’à l’occasion de la "Pâques juive", une nourriture casher leur sera servie.

      

    Les conditions de vie dans l’îlot K sont encore pires que dans le reste du camp, la vermine grouille dans les baraques délabrées, privées d’électricité. Plus tard l’îlot F3 regroupera les juifs raflés le 26 août 1942...

     


    La médiocrité de l’administration du camp prend une autre ampleur alors que se développe rapidement une situation alimentaire préoccupante.

      

    Les internés souffrent avant tout d’une faim extrême. En juin, les services sanitaires constatent que les travailleurs espagnols pèsent en moyenne une vingtaine de kilos de moins que ce qu’ils devraient faire relativement à leur taille, et il suffit d’une simple épidémie de diarrhée pour qu’en une semaine meurent sept d’entre eux.

      

    L’eau manque tant que la douche, collective, n’est assurée que tous les quinze jours. Seules les pouponnières (et les bureaux) bénéficient du chauffage.

    Les Groupes de Travailleurs Etrangers espagnols sortent du camp pour réaliser travaux et vendanges.

    Des hommes profitent de ces mouvements pour parvenir à s’enfuir et rejoindre les maquis de la Résistance française.

      

    Le camp est récupéré par l’armée allemande en novembre 1942 : à cette date 215 internés sont morts, dont 51 enfants d’un an et moins.

    Les Espagnols représentent 26,5% de la totalité de ces décès.


    Les internés figurent parmi la dernière priorité du Gouvernement français quant à l’alimentation générale du pays ; dans l’ordre des priorités de ravitaillement l’armée est première, viennent ensuite les hôpitaux et la population civile.

      

    Ces conditions déjà difficiles ne peuvent que s’aggraver alors que l’administration du camp, choisit volontairement de ne dépenser qu’un cinquième des 11,50 francs d’allocation d’alimentation journalière, prévue par le gouvernement pour chaque interné.


    Le Comité International de la Croix-Rouge constate à ce sujet "qu’une véritable famine règne dans certains camps et nous avons vu à Rivesaltes des enfants dans un état de sous-alimentation tel que l’on n’en avait pas vu depuis de nombreuses années en Europe."


    Les nourrissons sont les plus touchés par le manque de soins et la misère du camp. Pour le seul îlot B, dont les baraques sont décrites comme de véritables cages à bétails, trente personnes décèdent entre mars et juillet 1941 ; 31% de cette mortalité concerne des enfants dont la majorité a moins de un an et est atteinte par une épidémie de gastro-entérite infectieuse.


    Les moustiques qui infestent le camp sont aussi responsables d’un paludisme endémique.


    Eva Lang, qui avait 10 ans lorsqu’elle est arrivée à Rivesaltes avec toute sa famille évoque l’atmosphère du camp :


    "La nourriture manquait de plus en plus. On avait terriblement faim, et tout autour que des rangées de barbelés, et là a quelques mètres, des tours de garde. Tout était gris, lugubre, malsain. Le bruit incessant du vent qui sifflait entre les baraques, une terre boueuse semée de pierre pendant les jours de pluie et ensuite une chaleur torride et sèche car c’était encore l’été.


    Les gens toussaient, erraient, mourraient. J’ai sur le haut de ma jambe une cicatrice d’un énorme panaris plein de pus dont j’avais souffert à Rivesaltes. J’avais 10 ans et j’allais toute seule à l’infirmerie faire la queue et attendre pour que quelqu’un vienne nettoyer la plaie avec de l’alcool. Pourtant ma mère et ma grande sœur faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour maintenir une certaine propreté."


    Le manque d’eau et sa médiocre qualité durcit encore ces conditions hygiéniques déplorables, ce qui favorise la propagation d’autres épidémies telles que la dysenterie. Mis à part les cachectiques et les internés qui travaillent hors du camp, le reste des internés a néanmoins été vacciné contre la fièvre typhoïde, mais la mortalité reste élevée surtout chez les enfants.

      

    Le rapport du CICR tire la conclusion qu’il est "déplorable d’avoir réuni plus de 2 000 enfants dans un même camp, ce qui ne peut que contribuer à créer des épidémies".
    Le problème du chauffage se pose lui aussi de manière dramatique.

      

    Les internés souffrent du froid. Vivette Hermann-Samuel, assistante-résidente de l’OSE à Rivesaltes, le constate :

      

    "Tout au long de la baraque, des deux côtés, deux étages de bat-flanc séparés de deux mètres en deux mètres par de vieilles couvertures, compartiments où grouillent pêle-mêle des familles entières, pères, mères, enfants, grands-parents parfois, vautrés, agglutinés pour avoir plus chaud, dans une promiscuité indescriptible. Il fait froid et humide, et il n’existe aucun moyen de chauffage. Et, vous saisissant à la gorge, dès l’entrée, une odeur aigre de sueur humaine qui flotte dans cet antre jamais aéré. J’ai honte pour la France, honte pour l’humanité." Pendant l’hiver 41-42, les rares douches qui fonctionnent à Rivesaltes sont glacées :

      

    il se pose également un problème d’approvisionnement en eau.



    Les conditions de vie y sont tellement effroyables, que l’administration en vient à craindre que des adultes ne cherchent à voler de la nourriture à des enfants sous-alimentés.


    Cette morbidité va soudainement se transformer en une mortalité élevée alors que le camp ne cesse de se remplir.

    Les 7 et 14 janvier 1941, 1500 personnes arrivent du camp d’Agde, le 28 février c’est encore 793 internés qui sont transférés depuis Brens et, le 10 mars, 1226 depuis Gurs ; parmi ces derniers, on trouve 570 enfants de moins de 16 ans.

      

    Quelques jours plus tard, ce sont encore 1160 internés d’Argelès qui arrivent à Rivesaltes. Il s’agit de familles juives internées en application de la loi du 4 octobre 1940, de Tsiganes et d’Espagnols. Les femmes sont regroupées avec leurs enfants de sexe féminin et leurs fils de moins de 14 ans. A partir de cet âge, les jeunes gens vivent avec les hommes.

    Permettre aux familles juives de se réunir plus longuement pour célébrer ensemble la fête de la Pâque juive, telle est la raison invoquée par le commandant du camp pour transférer, en avril 1941, tous les internés juifs dans l’îlot B. Ce dernier est particulièrement inconfortable : les baraques sont aménagées avec des couchettes superposées, infestées de vermine, et l’électricité en est absente. La nourriture allouée à l’îlot B est très insuffisante.

      

    Le gestionnaire refuse de fournir des denrées de remplacement aux 300 internés pratiquants qui ne mangent pas de viande non casher. Quant aux enfants, entre le dîner qui a lieu à 18 h 00 jusqu’au repas du lendemain à 11 h 30, ils ne touchent pas de pain, le petit déjeuner du matin se composant uniquement de café noir pour les enfants de plus de six ans et de café au lait pour les moins de 6 ans.

      

    Cette absence de nourriture solide pendant plus de 17 h est péniblement ressentie par les tout-petits. D’autre part, les distributions de lait ont lieu à l’îlot J qui se trouve à environ 1 km de l’îlot B, ce qui s’avère une corvée très pénible pour les enfants en cas de mauvais temps. De plus, ils sont contraints à des attentes prolongées dans la pluie, la boue, le vent, de sorte que beaucoup d’enfants préfèrent renoncer à leur ration de lait plutôt que de s’imposer les désagréments d’une marche et d’une attente pénibles.

     



    QUID DES ÉVASIONS ?


    Il est difficile de retracer l’histoire des évasions. C’est un sujet sur lequel on ne peut guère avoir recours qu’aux témoignages personnels. Entre avril 41 et juillet 42, les départs clandestins de Rivesaltes sont de l’ordre de 30 à 40 par mois. Les internés tziganes prennent souvent la fuite par familles entières, accompagnées d’enfants en bas âge. Les internés juifs sont proportionnellement beaucoup moins nombreux à tenter de s’échapper.

      

    Ils le font souvent par deux (deux frères, un père et son fils, une mère et sa fille, deux hébergés d’un même îlot,... Ils sont le plus souvent assez jeunes (moins de 40 ans), mais certains emmènent avec eux leur enfant ou un parent âgé. En avril 42, Hélène Bronstein, alors âgée de 18 ans, est partie ainsi avec sa fille d’un an dans les bras :

      

    "Je n’ai pas décidé de partir parce que je sentais un danger quelconque fondre sur nous. Mon bébé était rachitique, malade, et j’avais deux idées fixes : elle allait mourir, ou bien on allait me l’enlever pour l’envoyer à l’hôpital. J’étais moi-même très jeune, presque encore une enfant.

      

    Je n’ai pas réfléchi aux risques que je lui faisais courir en m’enfuyant du camp avec elle. Je l’ai enveloppée dans une couverture, j’ai pris quelques réserves de nourriture que j’avais mises de côté au cours des jours précédents (surtout des morceaux de pain) et je me suis sauvée. Ce n’était pas très difficile, je connaissais bien le camp et je savais par où passer pour arriver tout de suite dans un champ couvert de buissons et d’épines où il n’y avait jamais personne. J’ai marché jusqu’à Perpignan. Je savais qu’il fallait trouver une cachette avant le lever du jour et éviter le centre-ville."


    Les témoignages concordent :

      

    jusqu’à l’été 42 et au "bouclage" des îlots de déportation (3 août), il est relativement aisé de quitter le camp en trompant la surveillance des gardiens, d’autant plus que certains d’entre eux ferment volontiers les yeux. Objectif prioritaire des évadés : une gare, et notamment celle de Perpignan. C’est parfois une erreur. Ainsi, un tiers des fugitifs de Rivesaltes sont repris le jour même dans cette dernière.

     


    Certains savent où se rendre car ils ont des contacts à l’extérieur. Carla Levinger rejoint le village de Salses d’où est originaire un gardien de Rivesaltes : accueillie chez l’épouse de celui-ci, qui la présente comme une lointaine cousine, elle franchit les Pyrénées quelques jours plus tard grâce à un passeur ami du couple.

     

     

      

    Il faut du reste souligner que, bien qu’elles n’organisent ni même encouragent de telles évasions, le organisations caritatives comme l’OSE (Œuvre de secours aux enfants, , qui tout comme le Secours suisse a, depuis décembre 1940 fait de la libération des enfants internés la priorité absolue)ou la FSJF (Fédération des sociétés juives de France) accueillent ceux qui ont tenté l’aventure et leur trouvent des lieux d’asile.

      

    Mais il y a aussi des internés qui, isolés dans un pays où ils ne connaissent personne et dont ils ne parlent pas la langue, n’ont guère de chance d’échapper aux recherches. Essayer seul de prendre contact avec un passeur et tenter de rejoindre avec lui la frontière espagnole est une entreprise hasardeuse. Par l’intermédiaire de camarades espagnols, 35 internés de Rivesaltes parviennent à s’enfuir du camp et entrent en contact avec des passeurs de Perpignan. Parmi ces derniers, un seul s’acquittera de sa mission et conduira huit personnes à travers les Pyrénées.

      

    Les 27 autres évadés (parmi lesquels quatre enfants) sont abandonnés par leurs guides, arrêtés et renvoyés à Rivesaltes.


    Il ne leur est pas possible non plus de se cacher : sans papiers d’identité, sans argent la plupart du temps, vêtus de guenilles qui attirent l’attention, ils sont à la merci de n’importe quelle dénonciation. Hélène Bronstein doit à la commisération d’une religieuse de ne pas avoir été mise à la porte d’un couvent de Perpignan par la mère supérieure.

     


    DE RIVESALTES À DRANCY...


    La déportation des Juifs de France commence en mars 42. En août, une partie du camp devient "Centre National de Rassemblement des Israélites". Six semaines après la rafle du Veld’Hiv à Paris, les rafles de la Zone Sud sont organisées par Vichy, Rivesaltes devient selon Serge Klarsfeld "le Drancy de la Zone sud".

      

    "La dernière période de Rivesaltes est significative pour toute la mutation dans laquelle s’engage le système d’internement de Vichy.

      

    Du 4 août 1942 jusqu’à la fermeture du camp, fin novembre de la même année, deux îlots de l’ancien "camp de regroupement familial" serviront de "centre national de triage" de la zone sud et de camp central pour le départ des convois à destination de Drancy et des camps allemands." Ce sont ainsi 9 convois qui quittent Rivesaltes pour Drancy entre le 11 août et le 20 octobre 1942, emmenant plus de 12 000 personnes.


    Il est difficile d’appréhender avec précision ce que ressentent et pensent alors les internés. Il semble que l’information d’une déportation prochaine en Pologne ait filtré par le biais de la radio anglaise.

      

    Mais, même pour ceux qui y ajoutent foi, il ne peut s’agir que d’un transfert dans un camp de travail particulièrement dur dans une région au climat rigoureux. A cette époque précise, le programme nazi d’extermination massive des Juifs d’Europe n’est pas connu dans le camp, et même ceux qui en entendent parler se refusent à y croire.

      

    Aux yeux de la plupart des internés déportables, l’avenir s’annonce donc extrêmement difficile, mais bien rares sont ceux qui, en ce début d’août 1942, envisagent de ne plus avoir d’avenir du tout. "Il se peut que je change de résidence et même que j’entreprenne un voyage un peu long", écrit M. P., en instance de départ de Rivesaltes. "Si vous n’avez pas de mes nouvelles, vous saurez que je suis parti."

      

    Et l’un de ses compagnons note dans l’ultime message qu’il adresse à sa famille : "Nous devons partir aujourd’hui, mais nous ne savons pas au juste si c’est pour l’Allemagne ou pour la Pologne."


    Le camp est récupéré par l’armée allemande en novembre 1942 : à cette date 215 internés sont morts sur place, dont 51 enfants d’un an et moins. Les Espagnols représentent 26,5% de la totalité de ces décès. Le millier d’internés qui s’y trouve encore est envoyé à Gurs, sauf les Tziganes qui sont expédiés vers le camp de Saliers (Bouches-du-Rhône) construit à leur intention.

      

    À partir de février 43, les Allemands y logent leurs troupes et y hébergent des employés de l’Organisation Todt (organisation nazie en charge de la réalisation d’un grand nombre de projets de construction, dans les domaines civil et militaire, tant en Allemagne, durant la période qui a précédé la guerre et pendant celle-ci, que dans les pays d’Europe sous domination nazie).

     

     SOURCES

     

     

     
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    Camps d'internements sous l'occupation

     

    Tout d’abord, qui sont les tsiganes?

    Il y a les dénominations internes (comme Rom), et les dénominations externes, que les non-Tsiganes utilisent pour désigner les Tsiganes, comme Romanichel, ou encore Bohémien.  Ce dernier terme renvoit par exemple aux lettres de protection qui étaient accordées par les rois de Hongrie, de Pologne et de Bohême.

    Les Gitans –Gypsi en anglais, Gitanos en espagnol (qui se nomment eux-mêmes Kalé)- vivent en Espagne et dans le sud de la France, et représentent environ 10 % des Tsiganes selon le collectif Romeurope.

    Les Sinté, ou Manouches en français, se sont plutôt établis en Italie, France ou dans les régions germanophones, le Bénélux et certains pays nordiques, et représentent environ 4 à 5 % des Tsiganes, selon la même association.

    Les Roms, terme signifiant homme en romanès. Il s’agit là encore d’un terme générique, mais, cette fois, endogène, c’est-à-dire employé par les Roms eux-même. Il a été choisi en 1971 par des associations d’Europe de l’Est, comme l’Union romani internationale, pour remplacer celui de Tsigane, considéré comme péjoratif.

     

     

    Afficher l'image d'origine 

     

    Qu'est-il arrivé aux Tsiganes en France pendant l'Occupation ?

      

    La question suscite rituellement gêne et confusion.

     

    Car il n'y a pas de réponse précise.

     

    La gêne vient du constat régulier que le sort de ces populations, dont la mémoire est plus orale qu'écrite, n'a guère éveillé l'intérêt des chercheurs, de l'Etat ou des hommes politiques. Le sentiment de culpabilité que provoque cette indifférence entraîne souvent, à son tour, le réflexe consistant à associer les Tsiganes à la tragédie des juifs de France.

    camps-tsiganes-2  

    Cette méconnaissance favorise la confusion:

     

    à défaut d'études sérieuses, le flou et les approximations règnent.

     

    Depuis des années, les rares chiffres évoqués proviennent des mêmes sources et des mêmes auteurs.

     

    Il était ainsi admis que 30 000 Tsiganes avaient été internés entre 1940 et 1944 dans des camps de Vichy et que de 15 000 à 18 000 d'entre eux étaient morts en déportation .


    Ces chiffres, démesurés, sont faux.

     

    Cette certitude provient de la première étude d'ensemble effectuée en France. Réalisé par le CNRS (Institut d'histoire du temps présent), ce travail est une commande officielle du secrétariat d'Etat aux Anciens Combattants et Victimes de guerre, du secrétariat général à l'Intégration et de la Fondation pour la mémoire de la déportation.

      

    L'administration des Anciens Combattants, après des dizaines d'années d'ignorance, sinon d'indifférence, souhaitait enfin disposer du minimum de données fiables et sérieuses sur la façon dont l'Etat français traita les Tsiganes de 1939 à 1946.

     

     

    L'historien chargé de cette étude, Denis Peschanski, a pu travailler sur les archives françaises et allemandes, en collaboration avec Marie-Christine Hubert

    et Emmanuel Philippon.

     

     

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    article de Madame Anne Tempelhoff  

    1/ Allemagne

    Depuis la fin du XIXème siècle, les Tsiganes allemands, majoritairement sédentaires, étaient devenus l’objet de toutes les attentions de ceux qui dénonçaient le « fléau tsigane » (anthropologues, linguistes, folkloristes) et notamment des services de polices qui entreprirent de les recenser et de les mettre sous étroite surveillance.

    Les nazis achevèrent de fédérer les différentes législations anti-tsiganes des Länder, assimilèrent les Tsiganes aux asociaux, ce qui leur permit de toucher les sédentaires, et mirent au point une définition raciale des Tsiganes devant permettre l’éradication définitive du « fléau tsigane ».
    Dès 1933, ils sont, ainsi que les handicapés, stérilisés (lois d’hygiène raciale).
    En 1935, ils sont exclus du corps électoral.

    Les Nazis définissant la citoyenneté allemande d’après des critères raciaux, entreprirent de définir racialement les Juifs et les Tsiganes afin de les exclure de cette citoyenneté. Le Centre de recherches en hygiène raciale et biologie des populations, créé en 1936 au sein des Services de Santé du Reich, mais dépendant du ministère de l’Intérieur, et dirigé par le docteur Ritter, reçut la mission de recenser tous les Tsiganes du Reich en utilisant l’anthropométrie et la généalogie.

    En 1944, 30 000 expertises avaient été établies ; la quasi-totalité des Tsiganes du Reich avaient été recensés et fichés.
    Les données accumulées lors de ces expertises permirent au docteur Ritter d’établir une classification précise des Tsiganes en août 1941.

    « Z (Zigeuner) : Tsigane (c’est-à-dire de véritable et pur sang tsigane).

    « ZM + ZM (+) (Zigeunermischling) : Plus qu’à moitié tsigane (c’est-à-dire métissé, mais au sang tsigane prédominant).

    « ZM (Zigeunermischling) : Semi-tsigane (à part égale de sang tsigane et de sang allemand). Cette catégorie se subdivise elle-même en deux sous-groupes : 1) « ZM de premier degré », dans le cas où l’un des parents est pur tsigane et l’autre allemand. 2) « ZM de second degré », dans le cas où l’un des parents est « ZM du premier degré » et l’autre allemand.

     « ZM_ ou ZM (_) (Zigeunermischling) : Plus qu’à moitié allemand (c’est-à-dire métissé, mais à sang allemand prédominant).

    « NZ (Nicht-Zigeuner) : Non-Tsigane (personne à considérer comme étant de sang allemand). »

    Le Centre de recherches en hygiène raciale considérant qu’une majorité des Tsiganes était en fait des métis (Mischling) concluait qu’ils étaient des asociaux par leur mode de vie et une race hybride par leur métissage biologique, ce qui impliquait qu’aucune « rééducation » n’était possible. L’équipe du docteur Ritter proposait d’ailleurs de tous les stériliser pour solutionner la question tsigane.

    Peu à peu, les Tsiganes subirent le sort réservé aux Juifs : les mariages mixtes furent interdits, les enfants exclus de l’école, les adultes de l’armée, les travailleurs soumis à un impôt spécial, etc.

     

      tsiganes-portraits

     

    sources de cette partie d'article - 

    http://www.kedistan.net/2015/08/28/tsiganes-de-victimes-expiatoires-a-intouchables/

     

     

    En juillet 1936, les 600 Tsiganes de Berlin, dont la présence était indésirable pendant les Jeux Olympiques, furent internés dans un camp situé à la périphérie de la ville. Le « Décret pour la lutte préventive contre l’infestation tsigane » du 8 décembre 1938 ordonnant leur sédentarisation pour faciliter leur recensement fut interprété comme « signifiant qu’à l’avenir tous les Tsiganes devaient être logés dans un camp ».

    berlin-tsiganes

    Ces camps étaient de véritables camps d’internement : ils étaient entourés de barbelés, gardés par un gardien armé, les Tsiganes ne pouvaient en sortir sans autorisation et étaient soumis au travail forcé. Ils étaient d’autant plus obligés de se soumettre à cette obligation que le travail était la condition sine qua non pour obtenir une allocation des services sociaux, allocation qui leur permettait de se nourrir, l’administration ne le faisant pas. Ces mesures touchaient principalement les nomades et les semi-sédentaires.

     

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    Le dépouillement systématique des fonds de plusieurs dizaines de départements dans lesquels sont déposées les très riches archives des camps d'internement a été complété par l'étude des dossiers de l'Inspection générale des camps conservés aux Archives nationales.

      

    Leur travail dresse ainsi une première synthèse (3) des procédures de contrôle et d'exclusion des Tsiganes, à travers les traces précises que sont les rapports et circulaires des préfets, les procès-verbaux de gendarmerie et les rapports de chefs de camp et de médecins.


    Dès la déclaration de guerre, en septembre 1939, les Tsiganes sont la cible des traditionnelles mesures d'état de siège - visant les populations "peu sûres" - prises par le gouvernement. Un décret-loi du 6 avril 1940 interdit la circulation des "nomades" (tels qu'ils ont été définis par une loi de juillet 1912) sur la totalité du territoire métropolitain.

      

    Ils doivent se déclarer dans les quinze jours à la brigade de gendarmerie la plus proche et sont astreints à résider dans une localité désignée par le préfet dans chaque département. Ces mesures reposent sur l'équation nomade = espion, comme le souligne alors un rapport au président de la République: "En période de guerre, la circulation des nomades, individus errants, généralement sans domicile, ni patrie, ni profession effective, constitue, pour la défense nationale et la sauvegarde du secret, un danger qui doit être écarté.

      

    Les incessants déplacements des nomades leur permettent de surprendre des mouvements de troupes, des stationnements d'unités, des emplacements de dispositifs de défense, renseignements importants qu'ils sont susceptibles de communiquer à des agents ennemis."


    Trois semaines plus tard, le ministre de l'Intérieur envoie une circulaire aux préfets pour qu'ils choisissent les communes d'assignation à résidence en dehors des agglomérations importantes. Recommandant aux préfets d'opter pour des zones où les nomades puissent trouver du travail, il ajoute:

      

    "Ce ne serait certainement pas le moindre bénéfice du décret qui vient de paraître s'il permettait de stabiliser des bandes d'errants qui constituent, au point de vue social, un danger certain et de donner à quelques-uns d'entre eux sinon le goût, du moins les habitudes du travail régulier."

      

    La réaction à ces mesures peut être résumée par le réalisme cynique qu'exprime dans un de ses rapports le commandant de la gendarmerie de Mayenne: "Il n'est pas douteux que la décision consistant dans la suppression de toute circulation de ces indésirables sur le territoire sera très bien accueillie par toute la partie saine de la population, sauf, cependant, par celle dont la localité aura été désignée comme lieu de séjour." Il s'agit, là encore, de l'oeuvre de la IIIe République, quelques semaines avant l'invasion allemande et la défaite.

     


    L'occupant manifeste immédiatement sa volonté d'éloigner des côtes de l'Atlantique les éléments jugés douteux, à savoir les nomades, les juifs et les ressortissants de nations ennemies (Belges, Polonais, Grecs, Néerlandais). Dès l'été 1940, le camp d'internement de Beau-Désert, à Mérignac (Gironde), est utilisé à cet effet et, à l'automne, les nomades sont refoulés des côtes vers l'intérieur du pays, notamment en Indre-et-Loire, au camp de La Morellerie.

      

    Le 4 octobre, un pas de plus est franchi: le commandement militaire allemand pour la France décide que "le franchissement de la ligne de démarcation vers la zone occupée est interdit" aux Tsiganes et que ceux qui se trouvent dans cette zone "doivent être transférés dans des camps d'internement surveillés par des policiers français".

      

    L'internement est donc une volonté allemande; sa mise en oeuvre sera une tâche administrative française.


    En zone sud, sous le contrôle direct de Vichy jusqu'en novembre 1942, la politique à l'égard des Tsiganes se résume essentiellement à l'application du décret-loi d'avril 1940 voté par la IIIe République finissante. Les termes "nomades" ou "Tsiganes" n'apparaissent cependant jamais dans les textes de propagande vichyste qui stigmatisent l' "anti-France", responsable, selon elle, de la défaite (étrangers, juifs, communistes, francs-maçons).

      

    Mais cette politique de regroupement et d'assignation à résidence suscite l'hostilité et les récriminations des populations, les attitudes de rejet étant exarcerbées par la crise, croissante, du ravitaillement. Aucun camp ne sera donc ouvert pour des nomades en zone sud, à une exception près.

      

    Au printemps 1942, dans une optique d'intégration paternaliste, le régime décide d'ouvrir un centre où ils pourraient exercer leurs activités traditionnelles dans un cadre familier, à Saliers, en haute Camargue, et dans des bâtiments imitant le style local (ils serviront, après guerre, de décors au "Salaire de la peur", de Clouzot). Sa direction, qui relève du Service social des étrangers (organe officiel de l'Etat français, mais infiltré par des résistants), sera confiée à un quaker expulsé d'Allemagne en 1933, qui menait parallèlement actions légales et clandestines, et sera même interné en avril 1944.


    Les conclusions des auteurs du rapport sur les motivations de la politique de Vichy en zone sud sont nuancées: les Tsiganes ne constituent pas une cible prioritaire de la politique d'exclusion et l'internement, qui frappe de façon massive d'autres populations, ne leur est pas appliqué (l'exception du camp de Saliers relevant d'une politique de sédentarisation qui dépasse les enjeux et la période de la guerre).

      

    En zone nord, internés à la demande des Allemands, leur sort n'en est pas moins dramatique, mais, du côté français, "les marques d'exclusion relèvent moins des procédures étatiques centrales que des réactions et des initiatives ou des réflexes locaux et régionaux de la population ou de responsables administratifs".


    Le traitement des archives des camps et de l'Inspection générale des camps permet aux auteurs du rapport une première estimation fine du nombre de Tsiganes internés sous l'Occupation: "Nous estimons à environ 3 000 le nombre de Tsiganes internés une ou plusieurs fois en France, toutes zones et toutes périodes confondues, entre 1940 et 1946." Soit dix fois moins que le chiffre, généralement évoqué, de 30 000 internés. 27 camps servirent à l'internement de Tsiganes, 22 leur étant réservés.

      

    Leur taille varie, abritant quelques dizaines de personnes, tel celui de Rennes, ou plus de 1 000, comme le plus important, celui de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), près d'Angers.

      

    Outre l'inégalité de répartition entre la zone sud et la zone nord, où se trouve la quasi-totalité des camps, ceux-ci sont essentiellement concentrés dans l'ouest et le centre-ouest de la France, où furent refoulés beaucoup de nomades, après la débâcle. Sous la responsabilité des préfets, les camps sont dirigés et surveillés principalement par la gendarmerie. Mais peu d'officiers, même à la retraite, sont volontaires pour ces fonctions, et la préfecture en est parfois réduite, comme à Jargeau (Loiret), à nommer des douaniers.


    A l'aide des archives préfectorales et des rapports d'inspection sanitaire, Denis Peschanski, Marie-Christine Hubert et Emmanuel Philippon ont pu reconstituer les conditions de vie des internés dans des lieux qui n'étaient pas, la plupart du temps, destinés à cet usage, qu'il s'agisse d'un château, comme au camp de La Morellerie, près de Chinon, d'anciennes salines royales, comme à Arc-et-Senans (Doubs), d'un ancien camp de réfugiés espagnols, comme aux Alliers, dans la Charente, d'une ancienne forge, comme à Moisdon-la-Rivière, en Loire-Atlantique, d'un circuit automobile, comme à Linas-Montlhéry, dans l'actuelle Essonne, d'une ancienne verrerie, comme à Coudrecieux, dans la Sarthe, ou d'un ancien camp de soldats anglais, comme à Mulsanne, dans la Sarthe. Les autorités elles-mêmes relèvent l'inadaptation de ces sites.

      

    L'Inspection générale des camps souligne ainsi que la plupart des baraquements du camp des Alliers "sont dans un état de délabrement extrême et ne peuvent constituer, même pour des nomades, qu'un abri absolument insuffisant".

      

    Le froid est tel, en janvier-février 1941, dans les hangars ouverts à tous les vents du camp de Moisdon que les Tsiganes seront transférés dans un camp voisin, après une succession impressionnante de décès. A Linas-Montlhéry, camp improvisé en quelques heures en novembre 1940, c'est l'administration militaire allemande elle-même qui demande aux Français d'assurer de meilleures conditions d'internement. Même à Saliers, dans le seul camp de la zone sud, construit dans le style camarguais pour des Tsiganes, sans clôture, avec église et infirmerie, la situation dégénère vite quand il faut loger deux fois plus de personnes que prévu, pour l'essentiel des Tsiganes expulsés d'Alsace par les Allemands et "accueillis" provisoirement par Vichy dans les camps de Rivesaltes et du Barcarès. Pourtant, ces situations émeuvent rarement les populations locales.

      

    Au contraire, beaucoup protestent contre les moyens qui sont accordés aux nomades - le préfet du Loiret s'en faisant l'écho, en août 1941, à propos du camp de Jargeau: "Il ne serait pas logique que des aménagements superflus dans un camp de 600 nomades, en arrêtant la réalisation d'autres projets, tels que la construction ou la réparation d'églises, de mairies, d'écoles (...), privent la population laborieuse de nombreuses communes du département d'un bien-être auquel elle est en droit, par son travail, de prétendre légitimement."


    En période de guerre et de pénurie, cet abandon et cette marginalité ont des effets redoublés sur la vie quotidienne des internés: sous-alimentation, hygiène catastrophique, morbidité et mortalité élevées.

      

    Et, à la différence d'autres catégories d'internés, les Tsiganes ne disposent pas des aides de la famille (intégralement internée) ni des oeuvres d'entraide, pratiquement absentes pour eux. En mars 1942, l'inspecteur général de la santé note, dans son rapport sur le camp de Moisdon, que la ration alimentaire distribuée au mois de janvier ne dépassait pas 1 400 calories, "c'est-à-dire 300 calories de moins que le minimum indispensable, au-dessous duquel des troubles graves peuvent se produire". Les moyens de chauffage et combustibles manquent cruellement, notamment au cours des deux premiers hivers - très durs - de l'Occupation.

      

    Constatant que les poêles attendus ne sont pas arrivés à Montreuil-Bellay, le directeur régional des services économiques propose, en novembre 1942, au préfet d'offrir... deux ballons de foot aux enfants du camp, pour qu'ils se réchauffent. L'idée sera retenue. Au camp des Alliers, un rapport signale, en décembre 1941, que les internés couchent sur de simples grabats parce qu'ils ont brûlé leurs châlits. Un an plus tard, un autre rapport signale que la literie a dû être renouvelée à trois reprises, et qu'à trois reprises elle a été brûlée. A Montreuil-Bellay, ce sont les sabots fournis par la préfecture qui servent de combustible.


    Dans ces conditions, les maladies ne cessent de faire des ravages, d'autant plus que les enfants représentent près de 40% des internés. Pendant l'hiver 1940-1941, la situation est dramatique au camp de Moisdon, et le capitaine de gendarmerie alerte le sous-préfet: "J'ai l'honneur de vous rendre compte que les funérailles des trois enfants décédés au camp dans les conditions que je vous ai exposées téléphoniquement ont eu lieu dans la journée du 4 courant (...). L'émotion causée par ces trépas rapprochés se calme lentement (...).

      

    Toutefois, la question reste entière; si des améliorations sensibles ne sont pas apportées, de nouveaux décès sont inévitables." Au camp de Montreuil-Bellay, 57 internés meurent de septembre 1942 à février 1943. La plupart sont des clochards de Loire-Atlantique dont la préfecture s'est débarrassée en les internant avec les nomades. Sans famille, privés d'alcool, ils subissent l'internement dans les pires conditions, alors que le camp est surpeuplé.

      

    L'étude précise de Jacques Sigot sur Montreuil-Bellay a permis d'établir qu'entre novembre 1941 et janvier 1945 une centaine d'internés (dont deux tiers de clochards) sont morts, sur les 1 500 personnes passées dans le camp. Les évasions sont rares, car les Tsiganes sont internés par familles entières, et ceux qui tentent leur chance sont souvent repris, comme le soulignent les auteurs du rapport: "Le regard de la population, regard qui se détourne ou regard qui dénonce, constitue le meilleur instrument de contrôle social, bien plus efficace que des barbelés pour limiter les possibilités d'évasion."

     


    La situation d'abandon des Tsiganes est totale, car même les oeuvres de bienfaisance qui interviennent dans les camps de la zone nord, comme le Secours national ou la Croix-Rouge, se désintéressent de leur sort. Les rares aides notables et dévouées viennent de quelques assistantes sociales, de prêtres et de religieuses, à titre individuel ou, plus rarement, collectif. Il faut nommer, par exemple, l'abbé Jollec, qui s'est démené pour les internés de Montreuil-Bellay (avant de se voir interdire l'entrée du camp par le préfet), et le père jésuite Fleury, qui s'est dévoué pour ceux du camp de Poitiers et qui fondera, après guerre, l'Aumônerie générale des Gitans.

      

    Plus de 200 enfants de Saliers seront cependant pris en charge par l'Assistance publique de Marseille.

      

    A ce bilan catastrophique de leurs conditions d'internement sous l'Occupation, l'enquête du CNRS ajoute cependant une révélation importante: les Tsiganes de France échappèrent largement aux déportations vers les camps d'extermination allemands.

     


    En Allemagne, parmi les premiers exclus des lois de 1935 sur la "protection du sang allemand", les Tsiganes sont bientôt visés par le décret sur la "lutte contre le fléau tsigane", puis par l'assignation à résidence systématique, avant les premières déportations à l'Est, en mai et juin 1940.

      

    Un décret de Himmler de décembre 1942 ordonne ensuite la déportation des Tsiganes allemands à Auschwitz, avant que d'autres décrets élargissent la mesure à l'ensemble des territoires occupés par le Reich. Le premier convoi arrive à Auschwitz-Birkenau le 26 février 1943.

      

    Dans les dix-sept mois que dure la vie du camp, ils sont près de 12 000 à y mourir, dont 2 897 dans la nuit du 1er au 2 août 1944, quand le camp est liquidé. Des milliers d'autres sont gazés, également en Pologne, à Chelmno, et plus encore sont assassinés lors des massacres effectués par les Einsatzgruppen et la Wehrmacht. Aucun bilan précis n'a pu cependant être établi de l'extermination des Tsiganes en Europe.


    En revanche, l'enquête du CNRS fait le point sur les victimes tsiganes de France. Un seul convoi de 351 Tsiganes, raflés qui en Belgique, qui à Arras, Roubaix et Hénin-Liétard, à l'initiative du commandement militaire allemand de Bruxelles (auquel sont rattachés les départements français du Nord et du Pas-de-Calais), partira de Malines (Belgique) pour Auschwitz, le 15 janvier 1944.

      

    Seuls 12 d'entre eux survécurent. Mais en France, dans les zones nord et sud (et même en Alsace annexée), il n'y a pas eu volonté des autorités, françaises ou allemandes, de déporter vers les camps d'extermination des nomades internés dans des camps français. Vichy se manifestera dans un autre registre, essayant de gruger les Allemands en envoyant des délinquants et des nomades au titre du contingent du travail obligatoire réclamé par le Reich.

      

    "Ce qui diminuera d'autant le nombre de jeunes travailleurs honnêtes que nous devons fournir", comme l'expliqua un inspecteur général des camps. Ce fut notamment le cas de 70 Tsiganes du camp de Poitiers.


    Les historiens du CNRS concluent donc que "la politique que suivent les Allemands en France vis-à-vis des Tsiganes ne répond pas à une volonté exterminatrice: elle obéit bien davantage à des impératifs militaires, étayés par des stéréotypes racistes.

      

    Sauf la différence dans la solution adoptée, à savoir l'internement plutôt que l'assignement à résidence, elle ne se différencie guère, en cela, de la politique française" (...). "La mise à l'écart suffit, et l'attitude des autorités montre que ce danger est loin de lui apparaître comme le plus menaçant."


    Dernière révélation de l'enquête: l'internement des Tsiganes ne prend pas fin avec la Libération. Même si les conditions de vie s'améliorent légèrement et que les libérations se multiplient, il reste, en France, 923 internés en avril 1945 et, en mai 1946, un an après l'arrêt des hostilités, les nomades seront les derniers internés à quitter les camps. Pourquoi? Une fois de plus, simplement par mépris et méfiance envers ces populations encore reléguées dans la marge alors que l'épuration bat son plein.

     


    (1) Voir notamment "L'Holocauste oublié. Le massacre des
    Tsiganes", par Christian Bernadac, France-Empire, 1979.


    (2) "Les Tsiganes en France, 1939-1946. Contrôle et exclusion", par Denis Peschanski, avec Marie-Christine Hubert et Emmanuel Philippon. Institut d'histoire du temps présent, mai 1994.
    (3) Parmi quelques études locales, il faut signaler le remarquable travail précurseur de Jacques Sigot sur l'un des principaux camps, celui de Montreuil-Bellay: "Ces barbelés oubliés par l'histoire, un camp pour les Tsiganes... et les autres, Montreuil-Bellay, 1940-1945", préface d'Alfred Grosser, éd. Wallada-Cheminements, 1994

     

    PHOTO: AU CAMP DE MONTREUIL-BELLAY EN 1944
    LE CAMP AUJOURD'HUI
    LE CAMP DE RIVESALTES

    INFOGRAPHIE: CARTE DE FRANCE
    DE 1940 À 1946 27 CAMPS D'INTERNEMENT POUR NOMADES


    En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/informations/les-tsiganes-sous-l-occupation-l-enquete_598653.html#gKuPxPEp74oLJALA.99

     

     

     http://www.lexpress.fr/informations/les-tsiganes-sous-l-occupation-l-enquete_598653.html

     

     

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